République Française.
Liberté, Egalité, Fraternité.
Le Gouverneur provisoire de la Martinique, considérant que l'esclavage
est aboli en droit et qu'il importe à la sécurité du
pays, de mettre immédiatement à exécution les décisions
du gouvernement de la Métropole pour l'émancipation générale
dans les colonies françaises,
Arrête :
Article 1 - L'Esclavage est aboli à partir de ce jour à la Martinique.
Article 2 - Le maintien de l'ordre public est confié au bon esprit des anciens et des nouveaux citoyens français ; ils sont en conséquence invités à prêter main forte à tous les agents de la force publique pour assurer l'exécution des lois.
Saint-Pierre, le 23 Mai 1848
Le Général de Brigade, Rostoland
Journal Officiel de la Martinique du 24 mai 1848.
Directeur provisoire de l'intérieur pour
la République Française
Aux cultivateurs esclaves
Mes amis
Vous avez tous appris la bonne nouvelle qui vient d'arriver de France. Elle
est bien vraie : C'est M. le Général Rostoland et moi qui
vous l'avons apportée. Nous avons pris la voie du Steamer pour arriver
plus tôt.
La liberté va venir ! Courage, mes enfants, vous la méritiez.
Ce sont de bons maîtres qui l'ont demandée pour vous : M. Pécoul,
M. Bence, M. Froidefond des Farges, M. Lepelletier St-Rémy, M. Perrinon,
MM. de Jabrun et Raizet, de la Guadeloupe. - Tous les maîtres qui
se trouvaient à Paris se sont réunis et ont chargé
ces Messieurs de demander votre liberté au Gouvernement, qui y a
consenti. Louis-Philippe n'est plus roi ! C'était lui qui enrayait
votre libération, parce qu'il voulait que chacun de vous se rachetât,
et la République au contraire va vous racheter tous à la fois.
Mais il faut que la République ait le temps de préparer les fonds du rachat et de faire la loi de la liberté. Ainsi, rien n'est changé, jusqu'à présent. Vous demeurez esclaves jusqu'à la promulgation de la loi. Alors M. le Gouverneur Rostoland m'enverra vous dire : La liberté est arrivée, vive la République
Jusqu'alors, il faut que vous travailliez d'après les prescriptions de la loi pour le bénéfice des maîtres.
Il faut prouver que vous comprenez que la liberté n'est pas le droit de vagabonder, mais bien le droit de travailler pour soi-même. En France, tous les gens libres travaillent plus encore que vous qui êtes esclaves, et ils sont bien moins heureux que vous, car là-bas, la vie est plus difficile qu'ici.
Mes amis, soyez dociles aux ordres de vos maîtres pour montrer
que vous savez qu'il n'appartient pas à tout le monde de commander.
Si vous pensiez avoir à vous plaindre, confiez-vous à vos
maîtres en particulier, et si vous ne pouvez vous entendre, et que
cependant vous pensiez avoir raison, adressez-vous alors au maire de la
commune, pour qu'il vous éclaire. La République a confié
cette mission à M. le maire.
S'il faut, autrement, que les autorités supérieures qui résident
à Fort-De-France (c'est ainsi qu'on appelle aujourd'hui le Fort-Royal),
se dérangent à chaque instant pour entendre des plaintes,
elles n'auront pas le temps de préparer la loi et le moment de la
liberté sera retardé. Votre sort est donc dans vos mains !
Souvenez-vous de ce qui est arrivé à la Guadeloupe !
Du temps de vos pères, la République existait en France ;
elle proclama la liberté sans indemniser les maîtres, sans
organiser le travail. Elle pensait que les esclaves auraient compris qu'ils
devaient travailler et s'abstenir de tout désordre.
Les Anglais s'emparèrent alors de la Martinique, et vos grands
- pères ne furent pas libres.
A la Guadeloupe, qui échappa à ces ennemis, tout le monde
fut libre, mais les anciens esclaves abandonnèrent leur travail et
devinrent plus malheureux de jour en jour.
Après sept années de liberté, ils obligèrent
la République de les remettre en esclavage. Voilà pourquoi
vos camarades de la Guadeloupe sont esclaves jusqu'à ce jour !
Je suis convaincu que vous montrerez, mes amis, plus d'intelligence et que
vous ne prêterez point l'oreille aux mauvais sujets : vous n'écouterez,
vous, que les personnes honnêtes.
N'écoutez pas, surtout, les libres oisifs. N'oubliez pas que ceux
qui craignaient que vous ne voulussiez plus travailler une fois libres disaient
: Voyez que d'affranchis sont devenus oisifs !
Vos ennemis, ce sont les paresseux ! N'ayez pour eux qu'une parole : Allez
au travail et laissez-nous mériter notre liberté...
M.le Curé est là pour vous dire qu'il faut travailler et se
marier pour obtenir les récompenses de l'autre vie. Demandez-lui
conseil lorsque vous aurez un sujet de défiance. Songez que c'est
la religion qui la première prêcha la liberté au temps
où les blancs eux-mêmes n'étaient pas libres.
Le Christ est né dans une étable pour enseigner aux gens des
campagnes qu'ils ne doivent pas se plaindre de l'humilité de leur
naissance. Il a permis qu'on le mît à mort sur une croix (c'était
le supplice de l'esclave en Judée), pour que les malheureux ne vissent
dans ses prêtres que des amis destinés à les bien guider.
Allons. Mes amis, ayez patience et confiance ! Si je vous écris,
c'est parce que je n'ai pas le temps de vous aller voir tous. Je viens,
d'ailleurs, de visiter St-Pierre, le Prêcheur, le Macouba, la Basse-Pointe,
et je suis pressé de rentrer chez moi pour travailler à la
loi qui va vous donner la liberté.
Aujourd'hui, je suis tranquille, car j'ai vu vos camarades ; ce sont de
braves gens qui savent comprendre la liberté. Vous êtes tous
de même, j'en suis sûr. J'aurais voulu que vous vous fussiez
tous trouvés avec moi chez M. de Courcy. Quand j'ai annoncé
à son atelier que tous ils allaient être libres, tous, ils
se sont écriés : Merci M. le Directeur ! Vive le travail !
Vive Monsieur ! Vive Madame ! Et le soir, ils donnaient une sérénade
à leur maîtresse. Pendant le dîner, ils m'avaient envoyé
onze hommes mariés, qui m'ont présenté leurs femmes
et m'ont chargé, au nom de l'atelier, de remercier la République.
Mes amis ! cela était beau ! cela prouve que l'atelier avait compris
que dans la société les gens mariés sont les plus honorables
et les plus dignes de venir promettre à la République que
les esclaves désormais se marieront pour avoir un vieux père,
une mère, une femme et des enfants, des frères et des soeurs,
toute une famille à nourrir et à soigner, parce que ainsi
tout le monde sera obligé de travailler quand tout le monde sera
libre.
Adieu, mes bons amis, je viendrai vous voir les uns après les autres. Quand vous voudrez manifester votre joie, criez :
La présente circulaire sera adressée
à MM. les maires des communes pour être affichée aux
portes de la Mairie, du Presbytère et des Hospices.
Il en sera, par leurs soins, transmis des exemplaires à tous les
propriétaires de la commune avec invitation de les placer aux lieux
les plus apparents de leur propriété, tels que l'hôpital,
les bâtiments d'exploitation, la case du commandeur et leur propre
demeure.
Saint-Pierre, ce 31 mars 1848.
Signé : Husson.
Directeur provisoire de l'intérieur pour
la République Française
Aux cultivateurs esclaves
Mes amis
Zautes toutes tenne yon bon nouvelle qui sorti rivé du France. - Ça bien vrai : c'est Monsieur général Rostoland et pi moin qui poté bon nouvelle-là ba zautes. Nous prenne la vapeur pour rivé plus vite.
La liberté callé vini. Courage, mes enfans. Zautes té
mérité ça. C'est des bons maîtres qui mandé
ça pou zautes : M. Pécoul, M. Bence, M. Froidefonds des Farges,
M. Lepelletier St-Rémy, M. Perrinon, M. Jabrun, la Guadeloupe ; M.
Raizet, la Guadeloupe. - Toutes maîtres qui té en France assemblés,
voyé yo mandé ça pou zautes, Gouvernement consenti
; passe cé yon autre Gouvernement qui là à présent
; Louis-Philippe pas le Roi encor ; c'était li qui pas té
soucié fait zautes libres yon foi. Li té vlé chaque
moune gagné corps yo yo même, tandis que la République
ce lé payé pour toute moune yon foi.
Mais li faut que la République pranne temps li pour préparé
l'argent, pour fait la loi.
Jus actuellement, arien p'encore changé. Zautes toujours esclaves
jusque temps la loi rivé. Alors, général Rostoland
va voyé moin di zautes : La liberté rivé, vive la République
!
Jusque-là, il faut travaille selon la loi, pour compte maîtres
zautes. Il faut prouvé zaute save la liberté c'est pas le
droit de faire le fainéant, c'est le droit de travaille pour ou même.
En France toutes gens libres ce travaille plus passé zautes qui esclaves,
et yo bien moins heureux, parce la vie plus dure passé ici.
Il faut couté maîtres zautes, pour montrer zautes save toute
moune peut pas commander. Supposé quelque chose pas bien, il faut
aller dire ça au maître yonne par yonne, et supposé
zautes pas tombé d'accord avec monsieur zautes, alors si zautes croire
tini raison toujours, c'est Monsieur le maire il faut aller trouver pour
li dire qui moune qui tini raison. Monsieur le maire chargé de ça
par la République.
Autrement, si il faut que les autorités de Fort-De-France (c'est
nom Fort-Royal à présent) déranger à tout moment
pour entendre des plaintes, yo pas callé tini temps pour préparer
la loi, et la liberté va river plus tard.
Ainsi, voilà sort zaute dans la main zautes !
Songez bien ça qui rivé la Guadeloupe !
Dans temps grand papa zautes, té tini la République en France ; la République té voyé la liberté tout partout sans payé les maîtres, sans fait la loi, sans recommander le travail - Li té croi que les eslaves serait oomprendre faut que travaille, faut pas faire désordre.
Les Anglais prenne la Martinique, empéché grands papas
zautes libres ici. A la Guadeloupe. l'Anglais pas réussi, la liberté
commencé, mais les anciens esclaves travaye de moins en moins, yo
vini malheureux, malheureux, au bout de sept ans la République té
forcé remetté yo esclaves. C'est pour ça camarades
zautes la Guadeloupe trouvé yo esclaves jusqu'aujourd'hui !
Moin bien sûr zautes pas callé si sottes fois tala, et qu'au
lieu de couté les mauvais sujets zaute va parlé ennique épi
bon moune.
Pas couté gens libres qui fainéans surtout ; zaute save les
moune qui té peur zaute pas serait travaille té ca dit pour
motifs : gardé combien gens yo faire libres qui deveni fainéans
!
Ainsi c'est fainéant qui les ennemis zautes ; dis yo ennique yon
parole : Allez travaille, quittez nous gagner liberté nous !
M.le Curé là pour dire zautes faut travaille, faut marier
pour gagner Paradis. Mandé li conseil, quand zautes pas callé
tini confiance dans quelque chose. Songez bien c'est la religion qui commencé
mandé la liberté dans temps Béqué même
pas té libre. Jésus-Christ né dans yon étable
pour montrer faut pas gens bitation plaindre si yo pas né dans yon
belle maison, li quitté yo fait li mort lassus yon croix (c'était
la potence des esclaves dans pays-là), pour montrer les esclaves
doit considérer les prêtres comme des amis bon Dieu quitté
assou la terre pour conseiller yo.
Allons, mes Amis, patience et confiance ! - Moin ca écrit zaute parce
moin pas tini temps allé voir zaute toutes à la fois ; moin
sorti voir les gens St-Pierre, Prêcheur, Macouba, Basse-Pointe ; il
faut que moin rentré dans bureau moin pour faire la loi.
Moin bien tranquille a présent parce que moin voi camarades zautes
; c'est des bons enfans qui ca comprendre la liberté. Alors zautes
doit être la même chose.
Moin serait voudré zautes toutes serait télà pour voir
ça l'atelier M. Courcy faire. Quand yo tanne yo callé libre,
yo crié : merci, M. le Directeur ! Vive les travailleurs ! Vive Monsieur
! Vive Madame ! Yo voyé deux viollonneurs baille Madame yon sérénade.
Yo save moin té rété dîner lassus l'habitation
: alors yo voyé onze hommes mariés présenté
moin femmes yo et remercier la Républiq ue au nom de tout l'atelier.
Ça té bien belle, mes amis ! car ça montré l'atelier
té comprenne c'est les gens mariés qui les plus honorables
dans la société, c'est yo qui les plus dignes de promettre
à la République que toutes les esclaves qua lé marier,
parce que chacun ayant à soigner yon mari, yon femme, des enfants,
yon papa, yon maman, des frères, des soeurs légitimes, toute
moune sera obligé de travaille quand toute moune sera libre.
Adieu, mes bons amis, moin va aller voir zautes temps en temps. Quand zautes
va v'lé crié en signe de joie, criez :
VIVE LES TRAVAILLEURS !
VIVE LE MARIAGE !
Jusqu'à temps moin même vini di zautes : Mi la loi rivé.
Vive la liberté !
Signé : Husson
Citoyens de la Martinique,
La grande mesure de l'émancipation que je viens de décréter
a détruit les distinctions qui ont existé jusqu'à ce
jour entre les diverses parties de la population ; il n'y a plus parmi nous
de libres ni d'esclaves, la Martinique ne porte plus aujourd'hui que des
citoyens.
J'accorde amnistie pleine et entière pour tous délits politiques
consommés dans la période de mouvement que nous avons traversée.
Je recommande à chacun l'oubli du passé ; je confie le maintien
de l'ordre, le respect de la propriété, la réorganisation
si nécessaire du travail à tous les bons citoyens ; les perturbateurs,
s'il en existait, seraient désormais réputés ennemis
de la République et comme tels, traités avec toute la rigueur
des lois.
Saint-Pierre, le 23 Mai 1848
Signé : Rostoland
Journal Officiel de la Martinique du 24 mai 1848