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La Compagnie des Indes Orientales
Armes de la compagnie des Indes orientales. La devise a été reprise dans le blason de la Réunion  

 

FLOREBO QUOCUMQUE FERAR : " Je fleurirai là où je serai portée". Portée à Bourbon, la Compagnie y a effectivement fleuri.

De 1684, date de sa création, à 1717, date officielle de la rétrocession de l'île à la royauté, la Compagnie fait et domine l'histoire de Bourbon, soit durant un siècle. L'action de la Compagnie fait réellement entrer l'île dans l'Histoire et la marque démographiquement, politiquement, économiquement, socialement, culturellement (cf héritage). Bourbon est donc "fille de la Compagnie - des Indes orientales".

Mon exposé rappellera, tout d'abord et très brièvement, le contexte général de l'époque ( expansion européenne - situation politique, socio-économique, culturelle de la France - conditions techniques…), le contexte particulier de Bourbon, au milieu du 17° siècle, permettant de comprendre à la fois l'inéluctabilité, la banalité, l'intérêt, mais aussi l'originalité, les difficultés, l'aventure que représente la création de la Compagnie et la colonisation de Bourbon…J'évoquerai ensuite la création de la Compagnie: ses objectifs, son organisation, son ou ses rôles. Pour terminer, j'examinerai les rapports entre Bourbon et la Compagnie, entre 1664 et 1767, les étapes et les problèmes de la mise en valeur de l'île et l'héritage laissé par la Compagnie. 

 

 

Le contexte général et particulier font de la création de la Compagnie des Indes orientales et de la découverte et de la colonisation de Bourbon un fait banal et inéluctable et, en même temps, une formidable aventure…

Ces deux faits s'inscrivent dans le vaste mouvement de l'expansion européenne amorcé dès la fin du 15°siècle et qui s'est traduit par les grandes découvertes ( Amérique-Afrique-Asie), l'exploration des océans, la naissance et le développement du grand commerce maritime, les premières vagues de colonisation, les transferts de population. Mouvement auquel participent les Portugais ( Bartolomeo Diaz, Pedro Mascarenhas…), les Espagnols, les Anglais, les Français… Ce sont, du reste, des Portugais, des Hollandais et des Anglais qui s'aventurent les premiers dans l'océan indien et découvrent les Mascareignes; (il ne faut cependant pas oublier le précédent arabe…)

 

Aux 16° et 17° siècles, en France, le renforcement de la monarchie, notamment sous les rois Louis XIII, 1610-1643, Louis XIV, 1643-1715, l'action des ministres tels que Richelieu, Mazarin, Colbert, dans tous les domaines et notamment celui de l'industrie naissante et du commerce maritime, le besoin de matières premières et de débouchés, le besoin d'or et d'épices, le sentiment d'être à la pointe de la civilisation et de détenir la seule et vraie religion, poussent la France, jusque là essentiellement rurale, à vouloir s'affirmer, non plus uniquement en Europe mais sur les mers et les autres continents… d'où sa présence dans l'océan indien et à Bourbon.

 

La présence de la France dans l'océan indien , la création de la Compagnie et la colonisation de Bourbon relèvent de l'aventure et devient donc un fait original et exceptionnel, un véritable exploit, en raison :

Mais l'originalité essentielle vient surtout de la situation de Bourbon au milieu du 17°siècle. Découverte au début du 16°siècle (1500-1510) par les Portugais, escale occasionnelle pour les navires des différentes nationalités ("rafraîchissements"), louée pour la pureté de ses eaux, la "bonté" de son air, l'abondance du gibier… (l'Eden), déclarée française à l'occasion de diverses prises de possession, 1638-1640-1642-1649 où elle reçoit notamment le nom de Bourbon (en 1649, la prise de possession est effectuée par le capitaine Le Bourg, envoyé de Fort Dauphin par Flacourt), l'île est toujours, au milieu du 17°siècle, inhabitée. C'est donc d'une île où tout est à faire et qui ne correspond en rien à ses objectifs premiers ( objectifs commerciaux) dont hérite la Compagnie. 

La Compagnie: sa création, ses objectifs, son organisation, ses rôles.

Créée par Colbert, en août/octobre 1664, elle est placée sous le patronage direct du roi, Louis XIV.

L'idée n'est pas nouvelle ( cf. les expériences françaises antérieures et les modèles hollandais et anglais …) mais elle est originale parce qu'elle implique l'Etat:

De ce fait la Compagnie a des objectifs dépassant la simple vocation commerciale. Trois objectifs lui sont en effet attribués:

La Compagnie a alors un rôle complexe, puisqu'elle est à la fois une société commerciale et un véritable "seigneur": elle s'occupe de négoce, d'import-export, de constructions navales, d'armement, de bateaux, d'administration, d'équipement, de développement économique, d'instruction, de justice, de moralité… Elle a des comptes à rendre à la fois à ses actionnaires (activités commerciales) et au roi (administration).
Pour faire face à ses différentes missions, la Compagnie recrute un personnel nombreux et diversifié: administrateurs, comptables, commis, matelots, ouvriers, soldats, médecins, prêtres… sans oublier les colons et leurs esclaves, qui, s'ils ne font pas partie directement du personnel de la Compagnie, sont recrutés, acheminés, administrés, nantis de concessions ou vendus ( pour les esclaves) par elle… et relèvent de sa justice ( un véritable état de subordination à rendre jalouses bien des sociétés actuelles…)

L'importance de ce personnel varie évidemment en fonction des aléas économiques, des crises politiques, des guerres. D'où une organisation complexe:

 

Face à la toute puissante Compagnie, comment se présente et évolue l'île Bourbon? Quels sont donc les rapports réels entre la Compagnie et l'île?

Pour atteindre ses objectifs la Compagnie a besoin de points de relâche, de réparation, de négoce, de recrutement de main d'œuvre ( traite et esclaves)… C'est là le rôle des comptoirs et des colonies. Dès sa création, la Compagnie a reçu du roi, en toute propriété, l'île Dauphine ( Madagascar) et l'île Bourbon, considérées comme étapes indispensables sur la route des Indes. C'est dans cette perspective que la Compagnie est amenée à s'intéresser à Bourbon. Les grandes phases d'installation et de mise en valeur de l'île sont alors les suivantes:

 

Mais c'est une période difficile en fonction des guerres en Europe, de la mort de Colbert en 1683, d'une fin de règne difficile pour Louis XIV, les difficultés financières de la Compagnie, des problèmes internes à la petite colonie (affaire Vauboulon 1689-1691, affaire Firelin 1691-1694, apparition des premiers marrons, paresse, insouciance et indépendance des premiers colons…). Bourbon manque souvent de l'essentiel. Les navires de la Compagnie passent parfois trois à quatre ans sans toucher l'île. Les colons, pour survivre, sont contraints de commercer avec les flibustiers ou les pirates… La Compagnie est incapable de faire face à ses obligations. Elle perd même son monopole en 1712.

 

* la réorganisation de la Compagnie ( 1719-1722). Cf. "La Compagnie perpétuelle des Indes"

* la culture du café, culture spéculative

* l'action décisive d'hommes comme Desforges-Boucher, Mahé de Labourdonnais…

* l'annexion de l'île Maurice ( île de France) à partir de 1715 qui suscite un regain d'intérêt de la Compagnie pour les Mascareignes, représente un atout pour Bourbon au départ (colons et ravitaillement vers Maurice); mais l'île devient ensuite une rivale à partir de 1735…Maurice en 1772

L'atout principal au cours de cette période est le développement de la culture du café (plantations imposées…). Les bénéfices qu'elle engendre, jusqu'en 1740, entraînent l'augmentation de la population (nouveaux colons -traite et esclavage), la création de nouveaux Quartiers (Saint Louis, Saint Pierre…), le développement des équipements, l'enrichissement des colons (importation d'objets de luxe: porcelaine, soieries…). Le café fait entrer réellement Bourbon dans le grand commerce maritime, mais l'implique aussi dans le système esclavagiste (voir Code Noir de 1723…)

 

 

Durant cette phase, la Compagnie est censée administrer l'île, au nom du roi, être l'indispensable lien entre la métropole et Bourbon, assurer les échanges commerciaux suivant le système du monopole et de l'exclusif, ce qu'elle fait avec plus ou moins de bonheur… Quel héritage nous a-t-elle laissé?

 

La Compagnie, après un siècle de présence, nous a laissé un héritage certes diversifié mais aussi sujet à critiques et controverses. Ainsi au niveau:

Mais elle est aussi , avec la pratique et l'institutionnalisation de la traite et de l'esclavage, à l'origine d'une société inégalitaire, raciale, d'une conception servile du travail dont l'île aura beaucoup de mal à se défaire, même si on peut souligner une volonté de lutte et de résistance dès le départ avec notamment la pratique du marronage.

 

Mais malgré quelques mixages remarquables (cf. en architecture et ameublement, le style Compagnie des Indes, et dans le domaine du langage, le créole), et malgré un attachement profond à la France des diverses composantes de la population, on lui reproche notamment, à tort ou à raison, d'avoir étouffé, annihilé les concepts asiatiques et africains, d'avoir initié une dépendance technique, culturelle, administrative, politique parfois trop étroite et coercitive, brimant les initiatives locales et débouchant sur une mentalité à la fois introvertie ( comportement insulaire) et extravertie ( privilégiant les valeurs extérieures)

 

La Compagnie des Indes a écrit les premières pages de l'histoire de notre île dans un contexte politique, technique, économique, social globalement difficile. On lui reproche, en particulier d'avoir souscrit à la traite et à l'esclavage. Cet aspect, plus que déplaisant et condamnable de son action, est, toutefois, à resituer au niveau des conceptions de l'époque propres non seulement aux Européens mais à la plus grande partie du monde… On était, au 17°siècle et dans la première partie du 18° siècle, très loin de la "Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen", 1789, et de la "Déclaration Universelle des droits de l'Homme", 1948, et il a fallu de longues années pour voir un début réel d'application. Sans vouloir, pour autant, absoudre la Compagnie, nous sommes en droit de nous poser des questions sur notre attitude à l'égard des formes modernes de l'esclavage que nous côtoyons, souvent, dans la plus totale indifférence.

 

Daniel CADET.

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