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Diego Garcia : enjeux de la présence américaine dans locéan Indien

 

(Quel avenir pour les personnes déportées des îles Chagos à la suite de la création et de la militarisation progressive de la dernière colonie britannique de l’océan Indien ?)

 

André ORAISON *

(cette conférence a été donnée le mardi 16 septembre 2003, à l'initiative de l'association "Les amis de l'Université"; nous remercions Monsieur Oraison de nous autoriser à en reproduire le contenu ici)

 

          Une question lancinante est posée sur le plan strictement juridique depuis plusieurs décennies par certains pays riverains de l’océan Indien et d’abord par l’Etat mauricien. Sans doute n’est-elle pas aujourd’hui considérée comme opportune pour les Etats-Unis et leurs alliés britanniques et australiens. Elle mérite néanmoins d’être connue. La voici : à qui appartient l’archipel des Chagos où se trouve l’importante base militaire aéronavale anglo-américaine de Diego Garcia ?

 

          A la Grande-Bretagne [RM1] qui l’a intégré dans le Territoire britannique de l’océan Indien (TBOI ou British Indian Ocean Territory, BIOT) en 1965 ou à Maurice qui considère sa décolonisation comme « inachevée », dans une zone désormais maîtresse de son destin après l’accession à l’indépendance de Timor-Leste le 20 mai 2002, et qui le revendique en invoquant le droit international coutumier de la décolonisation ? Ou encore plus simplement aux Chagossiens – une communauté de 8 500 personnes avec leurs conjoints et leurs descendants nés à Maurice – expulsés pour des raisons d’ordre stratégique par les Britanniques entre 1967 et 1973 à l’initiative des Américains et désireux, pour certains d’entre eux, de revenir vivre aux Chagos – y compris à Diego Garcia – après obtention d’importantes compensations financières de la part de la Grande-Bretagne, accusée d’avoir volé leurs racines et leurs âmes [1] ?

 

          Après plus de trente années d’exil à Maurice, le droit de retour des Chagossiens sur leurs terres natales leur a été reconnu par la Royal High Court of Justice de Londres dans une décision du 3 novembre 2000 : cette juridiction a en effet constaté que le « déplacement » des « Ilois » était illégal. Certes, ce droit de retour n’a pu encore être concrétisé en raison de l’hostilité du gouvernement de Washington, très forte après la destruction du World Trade Center de New York le 11 septembre 2001 et l’utilisation de la base de Diego Garcia en 2001-2002 contre les commanditaires de cet attentat, supposés être installés en Afghanistan. Après l’intervention militaire américaine en Irak qui a chassé du pouvoir le président Saddam Hussein en avril 2003, ce retour semble également compromis pour une très longue période. Néanmoins, de nouvelles interrogations surgissent : ces populations déportées souhaitent-elles revenir aux îles Chagos dans le cadre du TBOI au moment où le Parlement de Londres vient de voter une loi qui leur reconnaît, à compter du 21 mai 2002, la pleine citoyenneté britannique ? Désirent-elles au contraire s’y installer dans le cadre d’une nouvelle circonscription administrative mauricienne ? Ne pourraient-elles pas, à la limite, vouloir retourner aux Chagos pour y vivre au sein d’un nouvel Etat indépendant ?

 

            Pour sa part, l’Etat mauricien revendique la rétrocession de ce territoire lilliputien depuis 1980. Lors d’une visite à Londres le 7 juillet 1980, Sir Seewoosagur Ramgoolam en avait fait la demande auprès de Margaret Thatcher, à l’époque Premier ministre conservateur de Grande-Bretagne. C’était la première fois qu’il accomplissait une telle démarche depuis 1965, date à laquelle il avait « cédé » les Chagos aux Anglais pour la somme dérisoire de 3 millions de livres sterling. Le 11 novembre 2001, à l’Assemblé générale des Nations unies, le nouveau Premier ministre mauricien, Sir Anerood Jugnauth, a renouvelé les revendications de son pays « sur l’archipel des Chagos qui avait été détaché de la colonie de Maurice par le Royaume-Uni en violation du droit international », avant de demander aux Britanniques d’engager « des pourparlers afin de rétrocéder l’archipel à la souveraineté mauricienne [2] ».

          Concernant le TBOI, trois problèmes connexes méritent ici d’être abordés. Il importe de mettre l’accent sur les revendications de Maurice sur les îles constitutives du TBOI et le sort des Chagossiens déportés dans les bidonvilles de Port-Louis. Il convient également de préciser les étapes relatives à la militarisation de l’atoll de Diego Garcia par les Etats-Unis. Mais il faut, au préalable, expliquer le processus de création du TBOI par la Grande-Bretagne.

 

Titre 1  Le processus de création du Territoire Britannique de l’Océan Indien

 

Compte tenu de l’exiguïté des Chagos et à l’instar des conflits franco-malgache sur les îles Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India depuis 1972, et franco-mauricien sur le récif de Tromelin depuis 1976, le démêlé anglo-mauricien sur les Chagos ne devrait être qu’une « tempête dans un verre d’eau ». Mais contrairement à ces derniers, mis sous le boisseau depuis plusieurs années, pour des raisons autant politiques qu’économiques, la persistance du litige sur les Chagos contrarie de manière durable le concept de « zone de paix » dans l’océan Indien, tel qu’il a été forgé à partir de 1971 par les Etats riverains afin de rendre cette région libre de toute ingérence et de bases étrangères. Comme chaque année depuis cette date, ce concept a été repris et approuvé par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 56/16, adoptée à une très large majorité le 29 novembre 2001 par 110 voix contre 3 – Etats-Unis, France et Grande-Bretagne – et 41 abstentions.       

 

          Le litige anglo-mauricien – une « friendly dispute » ou « querelle d’amis », pour reprendre une terminologie employée dans la capitale mauricienne depuis 1980 – porte sur les seules îles du groupe des Chagos, c’est-à-dire, depuis le 29 juin 1976, sur la partie résiduelle du TBOI dont le gouvernement de Port-Louis souhaite le démantèlement afin de permettre sa rétrocession à l’île Maurice. Mais comment le TBOI a-t-il été constitué ?

 

          Au moment où a soufflé le vent de l’Histoire et de la décolonisation, et pressentant une nouvelle obstruction du canal de Suez, plus durable que celle qui avait affecté pendant plus de cinq mois (du 3 novembre 1956 au 10 avril 1957) la voie d’eau internationale à la suite de l’expédition franco-britannique contre l’Egypte, la Grande-Bretagne – en plein accord avec les Etats-Unis – a voulu maintenir dans l’océan Indien des bases militaires pour assurer la liberté de navigation sur l’ancienne « route des Indes » et, éventuellement, y défendre l’indépendance des alliés de l’Occident. Philippe Leymarie souligne que, pour poursuivre une politique active à des milliers de kilomètres de leurs territoires principaux et malgré l’énorme accroissement du rayon d’action de leurs avions et de leurs fusées, les deux puissances occidentales sont convaincues, dès la fin des années 1950, qu’elles doivent conserver outre-mer des « points d’appui » stratégiques. C’est en fait dans un contexte de guerre froide et de compétition idéologique Est-Ouest caractérisé par les premières croisières de bâtiments de guerre soviétiques dans l’océan Indien qu’à l’initiative des Etats-Unis, un accord politique anglo-américain a été conclu en 1961 entre le Premier ministre britannique Harold Macmillan et le Président américain John Fitzgerald Kennedy. Dès qu’il a été connu, cet accord a été critiqué. Il a pu ainsi être interprété par certains observateurs, notamment par le contre-amiral Henri Labrousse, comme « la conséquence du manque de confiance des Etats-Unis dans l’avenir de l’Afrique de l’océan Indien  [3] ».

 

          Dans cet accord secret, assurément préjudiciable à la population chagossienne, les Américains prennent l’engagement d’installer une importante base militaire dans cette région pour défendre les intérêts du camp occidental à la double condition que le territoire anglais retenu pour l’abriter échappe au processus de la décolonisation et que sa population en soit entièrement évacuée pour des raisons de sécurité. En contrepartie, ils offrent un rabais de 14 millions de dollars sur les fusées Polaris que les Britanniques envisagent alors d’acheter pour équiper leurs sous-marins atomiques. Ce marchandage a été plus tard avoué par le département d’Etat ainsi que le révèle le New York Times du 17 octobre 1975. C’est à la suite de ces tractations, intervenues au plus haut niveau, que le gouvernement de Londres a institué le TBOI – par un order-in-council du 8 novembre 1965. Ce décret-loi avait pour objet d’introduire des dispositions nouvelles pour l’administration de certaines îles exiguës et peu peuplées. Concrètement, il s’agissait du groupe des Chagos situé au sud des Maldives et à 2150 km au nord-est de Port-Louis, et de trois petits îlots dispersés dans la partie occidentale de l’océan Indien et postés en sentinelle au nord de Madagascar, à proximité du canal de Mozambique (Aldabra, Desroches et Farquhar). Appelées encore les « Ziles-là-haut » par les créolophones d’Agalega (une dépendance mauricienne située à 935 km au nord-ouest de Maurice), les Chagos étaient jusqu’ici administrées par le gouvernement autonome de Port-Louis, et les trois autres îlots, par le Conseil exécutif de Victoria.

 

          Réalisée à une époque où la désagrégation du Commonwealth était déjà bien engagée – dès lors que la plupart des territoires coloniaux britanniques accédaient à l’indépendance – et à un moment où l’on a pu parler d’une « présence crépusculaire » de la Grande-Bretagne dans l’océan Indien, la création de cette nouvelle entité administrative par un Etat qui a cessé d’être la première puissance maritime depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui n’aspire plus qu’à jouer le rôle de « puissance auxiliaire » auprès d’une puissance plus forte – les Etats-Unis – n’a pas manqué d’intriguer. A l’occasion, les Etats riverains ont, pour la plupart, élevé de vives protestations dès l’annonce de la création du TBOI. C’est le cas de l’Inde qui a toujours été ouvertement hostile à la rivalité politique des superpuissances dans l’océan afro-asiatique et à la création de bases militaires occidentales dans la région.

 

          Concrètement, le TBOI est à la fois la dernière colonie créée par le gouvernement de Londres et le dernier confetti de l’empire britannique qui subsiste dans l’océan Indien. Bien que discrètement mis de côté par les Anglais avec cette arrière-pensée quasi atavique de protéger les routes maritimes traditionnelles de cette région, le « reliquat colonial » a connu de nombreux avatars, dont certains appartiennent aujourd’hui à l’Histoire. Ainsi, le TBOI a-t-il été administré, de 1965 à 1976, par le gouverneur anglais des Seychelles agissant en qualité de commissaire au nom de la Couronne britannique. Le décret-loi consacrait en effet à l’origine un mécanisme de « dédoublement fonctionnel ». Pendant une dizaine d’années, une même autorité britannique a été responsable de deux collectivités infra-étatiques d’outre-mer et Victoria, située dans l’île de Mahé, a été le centre administratif à la fois de la colonie des Seychelles et du TBOI.

 

          Mais, depuis la rétrocession des îlots Aldabra, Desroches et Farquhar à la république des Seychelles le 28 juin 1976, jour de son accession à l’indépendance [4], le TBOI se réduit désormais aux seules îles Chagos. Par ailleurs, tous les habitants de l’archipel ont été « déplacés » en application d’une Immigration Ordinance édictée 16 avril 1971 par le commissaire du TBOI et ainsi rédigée dans sa section 4 : « Aucune personne ne peut pénétrer sur le Territoire ou, si elle se trouve sur le Territoire, ne peut y être présente ou y rester, à moins d’être en possession d’un permis ou à moins que son nom ne soit porté sur un permis [...]. » Avant le déplacement forcé de l’intégralité des habitants des Chagos vers les colonies anglaises des Seychelles et de Maurice dans le but de faciliter l’établissement de la base militaire américaine à Diego Garcia, l’archipel était faiblement peuplé. Selon le rapport Prosser publié en 1976, il comptait 1400 personnes réparties en 426 familles, vivant quasiment en régime autarcique et s’adonnant au maraîchage, à la pêche côtière artisanale, à l’élevage de volailles et à la culture du coprah [5]. Les seules îles habitées étaient celles de Diego Garcia (en fait la plus grande et la plus peuplée), de Peros Banhos et de Salomon.

 

          Désormais privée de sa population « autochtone », cette mini-colonie de la Couronne britannique ne fait plus partie, à partir de 1973, de la Franconésie. Ce néologisme a été forgé par l’historien Auguste Toussaint pour désigner l’ensemble des petites îles et mini-archipels créolophones et francophones de la région occidentale de l’océan Indien dispersés à l’est et au nord-est de la grande île de Madagascar, c’est-à-dire principalement les Seychelles, les Mascareignes (Maurice, Réunion, Rodrigues) et les Chagos [6]. Depuis le 29 juin 1976, la gestion administrative du TBOI est confiée à un commissaire agissant au nom de la Couronne britannique dont le siège est désormais fixé à Londres, plus exactement au Foreign and Commonwealth Office, tandis que sa représentation sur place, à Diego Garcia, est assurée par un officier de liaison de la Royal Navy.

         

          Quelles sont alors les caractéristiques physiques des Chagos dont la superficie totale est dérisoire – 50 km2 – et qui restent seules intégrées dans le TBOI à partir du 29 juin 1976 ? D’abord, on peut dire avec Auguste Toussaint que « le volcanisme n’a eu aucune part à leur formation ». Isolées à 1 200 milles nautiques au nord-est de Maurice et à 700 milles marins au sud des Maldives, ces îles madréporiques sont fixées entre les parallèles 04°41’ et 07°39’ sud et les méridiens 70°47’ et 72°41’ est. C’est dire qu’elles sont à une distance sensiblement équivalente des côtes de l’Afrique orientale, des grands archipels indonésiens, de l’Australie, du territoire irakien – occupé par les Américains depuis avril 2003 – et du Proche-Orient – où se poursuit le conflit israélo-arabe dans lequel sont impliqués, par le biais des menaces terroristes islamistes, les Etats-Unis en raison de leur collaboration politique pérenne avec l’Etat d’Israël. Les Chagos sont enfin ancrées à proximité de l’Asie du Sud où perdure une rivalité de plus en plus préoccupante entre le Pakistan et l’Inde à propos du Cachemire, province indienne à majorité musulmane revendiquée par les autorités d’Islamabad.

 

          Les îles Chagos sont presque à égale distance des routes maritimes traditionnelles, vitales pour les puissances industrialisées. Elles sont presque à mi-chemin du canal de Mozambique, qui est un bras de mer entre l’Afrique orientale et Madagascar, et du détroit d’Ormuz, qui sert de voie de passage obligée entre le golfe Persique – d’où est extrait l’« or noir » – et la mer d’Oman. Les Chagos sont encore situées à proximité du détroit de Bab El-Mandeb (la porte des Pleurs) qui met en communication la mer Rouge et l’océan Indien. Le groupe des Chagos est enfin ancré dans le voisinage des goulots malais et indonésiens – notamment les détroits de Lombok, de Malacca et de la Sonde – qui comptent parmi les principaux « verrous » de cette partie du monde dès lors qu’ils assurent le passage de tous les navires en provenance ou à destination des pays de l’Extrême-Orient et des Philippines entre l’océan Indien et le Pacifique, via la mer de Chine méridionale et la mer de Célèbes. C’est dire l’importance de ces îles sur le double plan géopolitique et géostratégique pour les Etats-Unis, désormais capables d’intervenir – à partir de la décennie 1970 – dans les moindres délais dans tous les recoins de cette partie du monde.

 

          Recouverts d’une végétation où dominent les filaos (casuarinas) et les cocotiers, une soixantaine d’atolls et d’écueils coralliens émergent de quelques mètres à peine au-dessus des flots. Ils sont rassemblés en six composantes principales, elles-mêmes éparpillées autour du grand banc des Chagos qui s’étend sur 180 km d’est en ouest et de 120 km du nord au sud. Auguste Toussaint précise qu’à l’exception de quelques récifs, ce banc est principalement un atoll immergé « d’une forme ovale irrégulière » dont la couronne, « très accore vers le large », est couverte par 7 à 20 mètres d’eau tandis qu’à l’intérieur, les profondeurs peuvent croître jusqu’à 90 mètres [7]. En les mentionnant du nord au sud et de l’est à l’ouest, voici les différents éléments du groupe des Chagos. Dans la partie septentrionale et l’extérieur du banc se détachent deux mini-archipels : les îles Salomon ou Onze-Iles à l’est et Peros Banhos (27 îlots) à l’ouest. Sont également postés en sentinelles mais sur la bordure immédiate du banc des îlots qui ont été toujours inhabités : au nord, l’île Nelson ; à l’ouest, les Trois-Frères, l’île de l’Aigle, flanquée de l’île aux Vaches marines, et l’île Danger. Il faut encore mentionner au sud-ouest le groupe des îles Egmont. Enfin, dans la partie la plus méridionale de l’archipel mais très nettement à l’extérieur du banc, par 07°19’ de latitude sud et 72°29’ de longitude est – c’est-à-dire pratiquement au cœur de l’océan Indien – émerge la plateforme la plus vaste de l’archipel des Chagos par sa superficie (une quarantaine de km2) et celle qui fut la plus peuplée jusqu’en 1971 : l’île de Diego Garcia.

 

          C’est bien à l’origine dans le cadre de la compétition idéologique Est-Ouest et de la « chasse aux îles » dans la région de l’océan Indien qu’une base américaine aéronavale a été implantée sur l’atoll de Diego Garcia. Considérée en ce début de XXIe siècle, par tous les observateurs avertis, comme un super « porte-avions avancé » destiné à assurer la sécurité des intérêts des puissances anglo-américaines et, par ricochet, la défense des pays alliés traditionnels comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande, la base de Diego Garcia est aujourd’hui placée en « alerte rouge ». En coopération avec les autres forces militaires américaines et alliées déjà prépositionnées sur le pourtour de la péninsule arabique, elle est pleinement opérationnelle et prête, en conséquence, à être utilisée en cas de menaces directes contre les intérêts occidentaux dans l'océan Indien.

 

Titre 2  L’installation progressive d’une base militaire anglo-américaine sur l’atoll de Diego Garcia

 

          « Malte de l’océan Indien », « Nouvelle Okinawa » ou encore « Diego Garcia, marchepied vers la liberté » : en sa qualité d’observateur de l’océan Indien, Philippe Leymarie note – déjà en 1976 – que les formules ne manquent pas dans les états-majors des grandes puissances comme dans la presse spécialisée pour qualifier la base aéronavale édifiée par les Etats-Unis au début des années 1970 et, par la suite, sans cesse modernisée [8]. Est-il besoin de préciser que ces formules demeurent d’actualité en 2003, en dépit de la fin de la querelle idéologique et politique Est-Ouest et de l’implosion de l’Union soviétique, il y a maintenant plus de dix ans ? Mais comment en est-on arrivé à cette évidente et durable suprématie du monde anglo-saxon dans la région de l’océan Indien ? Quel est plus exactement le processus de l’implantation américaine sur la plateforme corallienne de Diego Garcia ? Dès à présent, un flash-back s’impose. Sur un plan juridique, l’opération visant à assurer la militarisation de Diego Garcia afin de défendre les intérêts du monde occidental s’est déroulée en trois étapes à partir de la décennie 1960. Chacune d’entre elles a été ponctuée par un accord diplomatique anglo-américain conclu en forme simplifiée à Londres sous forme d’échange de notes, selon la pratique anglo-saxonne, et entré en vigueur le jour même.

 

          Le premier traité anglo-américain signé à Londres 30 décembre 1966 est capital dès lors qu’il donne le « coup d’envoi » d’une course américano-soviétique aux armements dans un espace maritime jusque-là considéré comme un « lac de paix britannique ». Pour nombre d’observateurs, les puissances occidentales seraient chronologiquement responsables de l’extension de l’affrontement idéologique et politique Est-Ouest dans l’océan Indien. Sur un plan juridique, cet accord peut s’analyser en une cession à bail de caractère stratégique, c’est-à-dire en une technique impliquant une cession de territoire sans transfert de souveraineté. Le but principal de l’accord est bien en effet de « rendre disponible » à titre temporaire – en fait pour une période bien déterminée mais généralement très longue et éventuellement renouvelable – et à des fins militaires, tous les îlots intégrés dans le TBOI, lui-même dénommé « le Territoire » dans le présent traité.

 

          Après avoir décrété, dans son article 1er, que le « Territoire demeurera sous la souveraineté du Royaume-Uni », le traité dispose en effet dans son article 11 : « Le gouvernement des Etats-Unis et le gouvernement du Royaume-Uni prévoient que les îles resteront disponibles pendant un laps de temps indéterminé afin de répondre aux besoins éventuels des deux gouvernements en matière de défense. En conséquence, après une période initiale de 50 ans, le présent accord demeurera en vigueur pendant une période supplémentaire de 20 ans, à moins qu’un des deux gouvernements, deux ans au plus avant la fin de la période initiale, notifie à l’autre sa décision d’y mettre fin, auquel cas le présent accord expirera deux ans après la date de cette notification ».

 

          Passant outre aux objections formulées par les Etats riverains – notamment par l’Inde et par Sri Lanka – et concrétisant une intention exprimée dans ce traité, les deux Etats occidentaux sont allés plus loin à la suite d’un entretien au sommet à Camp David entre le Président américain Richard Nixon et le Premier ministre britannique Edward Heath. Dans un communiqué conjoint, daté du 15 décembre 1970, ils ont en effet annoncé leur intention de signer un nouvel accord en vue d’installer, non une « base militaire » proprement dite à Diego Garcia, mais une « station commune de communications par satellites » afin de combler un vide dans le système de communications des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne dans une région hautement stratégique où la pénétration navale soviétique était de nature à préoccuper, à l’époque, les deux pays [9]. Formellement conclu le 24 octobre 1972 et entré en vigueur le jour même, le deuxième accord anglo-américain est appelé à rester en vigueur aussi longtemps que le premier.

 

          Le choix de Diego Garcia est compréhensible. Cette île est située à proximité de quatre grandes masses continentales environnantes : Afrique, Antarctique, Asie et Australie. Portant le nom d’un capitaine portugais qui la découvrit en 1532, pratiquement inconnue du monde de la géostratégie avant 1965, très difficile à trouver sur un atlas normal et ne semblant pas, jusqu’à cette date, digne de figurer dans l’Encyclopædia Britannica, Diego Garcia a été choisie en raison de sa position privilégiée. L’atoll est semblable à un « porte-avions indestructible » – pour reprendre l’expression de Sir Winston Churchill en parlant de Malte – à proximité duquel passent nécessairement tous les navires et aéronefs qui veulent traverser l’océan Indien de part en part. Incontestablement, sa situation stratégique de poste d’observation privilégié a été déterminante pour les deux puissances occidentales lorsqu’elles ont voulu ériger ce qu’elles ont appelé pudiquement dans un premier temps, afin de ne pas effaroucher les pays riverains, un « centre commun de communications navales » dans cette partie du monde.

 

          Mais ses caractéristiques physiques ont également été décisives pour les Etats-Unis lorsqu’ils ont voulu installer une base militaire aux Chagos. Etendue sur la quasi-totalité de la couronne d’un atoll allongé et presque complètement fermé qui rappelle la forme d’un fer à cheval, Diego Garcia est la plus vaste des îles Chagos avec une superficie de quelque 40 km2. Basse, sablonneuse et sans relief, l’île s’étire sur 25 km. Dans sa partie la plus resserrée, sa largeur est de l’ordre de 5 km (lagon compris). Quant à la couronne récifale, elle a une épaisseur moyenne de quelques centaines de mètres et une largeur maximale de 3 km. Elle abrite un immense lagon interne – cas plutôt rarissime – dont la largeur extrême peut atteindre 10 km et la profondeur, 31 mètres. Capable d’accueillir une véritable armada de navires de surface, y compris des porte-avions, et de sous-marins nucléaires, le lagon n’est toutefois accessible que par le nord.

 

          Dans une déclaration du 5 février 1974, le secrétaire au Foreign Office avait, par la suite, précisé qu’un document plus complet serait élaboré « en temps utile » par les deux parties intéressées et que les troupes de la Grande-Bretagne auraient la possibilité d’utiliser les diverses installations militaires édifiées par les Etats-Unis à Diego Garcia. Se substituant au traité du 24 octobre 1972, un nouvel accord anglo-américain est effectivement signé à Londres le 25 février 1976 sous forme d’un échange de notes et – comme les précédents – il est entré en vigueur le jour même. Entièrement supportés par le gouvernement de Washington, les nouveaux travaux d’aménagement tous azimuts ont eu pour objectif de créer une véritable base militaire. Au fil des ans, cette plateforme a été érigée au rang de complexe aéronaval ultramoderne, permanent et polyvalent, destiné à servir bien au-delà de 2016 – date d’expiration du bail initial de 50 ans – et pour lequel les Américains ont déjà dépensé des centaines de millions de dollars, d’abord pour son édification, puis pour son extension et, maintenant, pour son entretien et son utilisation [10].

 

          De fait, une décennie après avoir été l’un des pivots des raids aériens dirigés contre l’Irak pendant la guerre du Golfe – lors de l’opération « Tempête du désert » menée après l’invasion du Koweït par l’armée de Saddam Hussein dans la nuit du 1er au 2 août 1990 –, la base de Diego Garcia est devenue l’une des « têtes de pont » du dispositif militaire américain dans l’océan Indien, lors la guerre engagée contre le gouvernement pro-taliban de Kaboul et les membres opérationnels des réseaux ismalistes de l’organisation Al-Qaida. Concrètement, dans le cadre de l’opération « Liberté immuable », la base de Diego Garcia a été largement utilisée par l’aviation américaine – notamment par les superbombardiers B-52 – qui a pilonné de jour comme de nuit de vastes zones abritant les forteresses talibanes installées en Afghanistan ainsi que les repaires des combattants d’Al-Qaida dans les grottes de la région montagneuse de Tora Bora dans l’est du pays avant de les chasser du pouvoir le 12 novembre 2001 et d’installer un régime démocratique de transition à Kaboul dès le 24 novembre suivant.

 

          Paradoxalement, la base militaire aéronavale américaine installée à Diego Garcia ne semble pas avoir joué un rôle de premier plan dans la deuxième guerre du Golfe. Mais il faut dès à présent insister sur le fait que cette nouvelle guerre contre l’Etat irakien – accusé à tort ou à raison de produire ou de détenir des armes de destruction massive – ne ressemble pas à la première sur le plan de la légalité internationale. Déclenchée après un ultimatum lancé le 17 mars 2003 par le président George W. Bush – au mépris des dispositions les plus fondamentales de la Charte de San Francisco, sans l’aval des Nations unies et plus précisément en violation manifeste de la résolution 1441 adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité le 8 novembre 2002 –, elle a suscité les protestations de l’opinion publique internationale en raison de son illicéité. Sur le plan militaire, cette opération a été conduite essentiellement à partir de multiples bases installées dans les pays arabes du Proche-Orient – comme le Koweït ou le Qatar – et à partir des porte-avions et des navires de guerre américains et britanniques présents dans le golfe Persique et dans l’océan Indien septentrional. Quant aux fameux bombardiers stratégiques B-52, qui ont pilonné pendant plusieurs semaines les sites stratégiques irakiens et notamment ceux de Bagdad, ils étaient stationnés en Europe, sur la base militaire de Fairford en Grande-Bretagne [11]. Il est cependant trop tôt pour en tirer des conclusions et pour parler du déclin, même relatif, de la base aéronavale de Diego Garcia.

 

          Les Etats-Unis semblent aujourd’hui déterminés dans leur lutte contre les attentats terroristes anti-occidentaux, plus ou moins tolérés par certains pays riverains de l’océan Indien (dont l’Irak), comme ils étaient hier résolus à freiner l’expansion du communisme soviétique dans cette région du monde. C’est dire qu’ils ne sont pas prêts de renoncer en ce début de XXIe siècle à leur unique base militaire installée dans la zone de l’océan Indien. Mais c’est dire aussi que les Chagossiens ne pourront pas revenir de sitôt sur leurs terres natales confisquées en 1965 par le gouvernement de Londres. Pour sa part, ce micro-Etat invoque, depuis 1980, la violation par la Grande-Bretagne du droit international coutumier de la décolonisation.

 

Titre 3  La violation par la Grande-Bretagne du droit international coutumier de la décolonisation

 

          Conformément à l’accord secret anglo-américain conclu en 1961 entre Harold Macmillan et John Fitzgerald Kennedy, le gouvernement de Londres a tout mis en œuvre pour amputer les Chagos de la colonie anglaise de Maurice avant son accession à la souveraineté et pour les dépeupler sans l’assentiment de leurs habitants. Réalisée moins de trois ans avant l’indépendance de Maurice – proclamée le 12 mars 1968 –, l’excision des Chagos est certes conforme au droit interne anglais : le décret-loi du 8 novembre 1965 a en effet été édicté en application du Colonial Bounderies Act de 1895. Mais ce texte réglementaire méconnaît le droit international de la décolonisation et notamment le principe coutumier de l’intangibilité des frontières coloniales ainsi que le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », tel qu’il est inscrit dans la Charte des Nations unies. Cette violation des règles du droit international au détriment des Chagossiens et de Maurice est, par ailleurs, périodiquement dénoncée par le gouvernement de Port-Louis.

         

          Ainsi, le Premier ministre mauricien, Anerood Jugnauth, a-t-il une nouvelle fois, le 11 novembre 2001, revendiqué à l’Assemblée générale de l’ONU le groupe des Chagos en invoquant le droit international de la décolonisation avant d’insister sur la situation particulièrement critique des Chagossiens : « Nous nous préoccupons également des souffrances de tous ces Mauriciens que l’on appelle “Ilois” et qui, en violation flagrante de leurs droits fondamentaux, ont été évincés de force par la puissance coloniale des îles qui forment l’archipel. Nous appuyons leur revendication légitime pour que des mesures appropriées soient prises [12]. »

 

          Mais qui sont ces Ilois et d’où viennent-ils ? Descendants pour la plupart d’esclaves d’origine africaine, notamment malgache et mozambicaine, qui reçurent le nom de « Noirs des îles » – comme le note Auguste Toussaint – et dont les premiers occupants viennent de la Réunion et de Maurice à la fin du XVIIIe siècle, les Chagossiens sont en majorité analphabètes, catholiques romains et monolingues créoles. Sur leurs terres natales, depuis plusieurs générations, ils vivaient de cultures vivrières, de l’élevage d’animaux de basse-cour, de la pêche côtière et du ramassage des noix de coco pour le compte d’une société locale – la Chagos Agalega Limited – selon un mode de vie qui était resté, jusqu’en 1967, celui du temps de la marine à voile et des lampes à huile.

         

          En tant que président du Groupe Réfugiés Chagos (GRC), fondé en 1983, et qui apparaît aujourd’hui comme le principal représentant de la communauté chagossienne à Maurice, Olivier Bancoult n’entend pas prendre parti dans le conflit territorial anglo-mauricien proprement dit sur les Chagos. En revanche, il a formulé une série de revendications auprès du gouvernement de Londres. Il revendique au profit de tous les Chagossiens de souche – auxquels il convient d’ajouter leurs conjoints et leurs descendants directs (enfants et petits-enfants) nés à Maurice, soit 8 500 personnes recensées en 2001 – la nationalité britannique à part entière tout en conservant la nationalité mauricienne, une troisième et très forte compensation financière de la part de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, et le versement d’une pension à vie pour réparer les dommages et préjudices de toute nature causés par la déportation des habitants dans l’intérêt des puissances occidentales ainsi qu’un « droit de retour définitif » des Chagossiens sur toutes les îles qui composent l’archipel et le droit d’y travailler.

 

          Sur ce dernier point, la Haute Cour de justice britannique a déjà donné raison aux membres du GRC qui l’avaient saisie. Dans sa décision du 3 novembre 2000, la juridiction considère en effet illégale l’Immigration Ordinance édictée par le commissaire du TBOI en vue de déclarer persona non grata sur leurs propres terres natales les habitants des « Ziles-là-haut » [13] ! Par ailleurs, le gouvernement de Londres a récemment accordé aux habitants de 14 territoires d’outre-mer dépendants de la Grande-Bretagne en général et aux populations des Chagos en particulier la citoyenneté britannique à part entière. Cette démarche fait suite au vote définitif par le Parlement de Londres du British Overseas Territories Act (BOTA) qui pose le principe de l’octroi de la pleine citoyenneté britannique à tous les citoyens des territoires d’outre-mer qui en font la demande [14].

 

          Applicable depuis le 21 mai 2002, cette loi vise toutes les personnes nées aux Chagos avant leur expulsion vers Maurice et leurs enfants nés à Maurice de père chagossien ou de mère chagossienne. Elle est importante dans la mesure où elle les dispense de visa pour se rendre, à titre touristique ou professionnel, sur le territoire des pays membres de l’Union européenne dont la Grande-Bretagne – y compris les îles du TBOI – et la France – y compris le département de la Réunion qui est le plus accessible en raison de sa proximité géographique et culturelle. Mais les Etats-Unis ont fait savoir qu’ils s’opposeraient au retour des Chagossiens à Diego Garcia aussi longtemps que cette base serait utile aux intérêts des puissances occidentales et d’abord aux leurs bien compris.

 

Titre 4  Conclusion

 

          La création du TBOI en 1965 et sa militarisation croissante à partir de la décennie 1970 ont, dans une très large mesure, contribué à assurer la déstabilisation de la région de l’océan Indien, devenue dès lors une « zone de convoitises » pour les grandes puissances maritimes. Cependant, cette double initiative occidentale et la riposte prévisible de l’URSS a suscité les critiques les plus vives de la part des Etats riverains. Prenant de plus en plus conscience du danger, ces derniers se prononcent pour la suppression des bases militaires étrangères dans l’océan Indien et proposent, depuis 1971, la transformation de cet espace – « afro-asiatique par excellence » – en zone de paix.

 

          Certes, la rivalité idéologique Est-Ouest a pris fin avec l’implosion en 1991 de l’Union soviétique en tant que superpuissance et Etat fédéral. Mais il est clair aujourd’hui que cette fin heureuse et inattendue ne sonne pas pour autant le glas de l’unique base américaine dans l’océan Indien. Compte tenu de remous persistants à sa périphérie ne serait-il pas téméraire de répondre par l’affirmative, au moins pour la période qui nous sépare de la date butoir de l’an 2016, date de l'expiration du bail consenti aux Etats-Unis par la Grande-Bretagne ?

 

          Les autoroutes des hydrocarbures et des matières premières stratégiques qui traversent l’océan Indien de part en part ne paraissent-elles pas trop importantes pour que l’Aigle américain, conscient à la fois de son leadership aujourd’hui incontesté et de ses responsabilités au niveau planétaire, ne se retire spontanément de cette zone ? Au moment où par ailleurs l’opinion publique américaine exige de nouveaux résultats concrets, décisifs et surtout durables dans la « guerre contre le terrorisme international anti-occidental » en général et contre le terrorisme anti-américain en particulier après le renversement réussi du régime des Talibans d’Afghanistan, les idées sur la « crédibilité » et la « théorie des dominos » forgées par le Président Ronald Reagan et reprises à son compte par le Président George Bush et leurs successeurs – Bill Clinton et George W. Bush – ne vont-elles, pas de surcroît, continuer à paralyser la vision que la superpuissance américaine a des risques d’un changement en profondeur ?

 

          Certes, dans la dernière résolution 56/16 relative à la création d’une zone de paix dans l’océan Indien, l’Assemblée générale des Nations unies « se déclare de nouveau convaincue que la participation de tous les membres permanents du Conseil de sécurité et des principaux utilisateurs maritimes de l’océan Indien aux travaux du Comité spécial est importante et faciliterait grandement un dialogue bénéfique à tous sur la voie de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans la région de l’océan Indien ». Il est vrai par ailleurs que ce texte a été adopté dans le même esprit et dans les mêmes termes que les précédents, c’est-à-dire avec détermination et à la quasi-unanimité des Etats participants (110 voix), un grand nombre d’abstentions (41) et malgré l’opposition traditionnelle des trois grandes puissances occidentales qui entretiennent des bases militaires dans l’océan Indien et s’opposent, jusqu’à nouvel ordre, à leur éviction de cette partie du monde. En raison précisément de cette opposition tenace des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne, la résolution 56/16 n’apporte concrètement rien de nouveau en la matière par rapport au « vote historique », le 16 décembre 1971, de la résolution 2832 (XXVI).

 

          Dès lors, les questions lancinantes et connexes relatives au démantèlement du Territoire Britannique de l’Océan Indien et à la démilitarisation intégrale de l’archipel des Chagos et, d’une manière plus générale, à la création d’une zone de paix dans la région de l’océan Indien ne risquent-elles pas encore – pendant une période indéterminée – de défrayer la chronique dans la communauté internationale tout entière, dans la plupart des pays riverains de cette région du monde, parmi les instances politiques dirigeantes de Port-Louis et, en dernier ressort, dans les faubourgs de la capitale mauricienne où un grand nombre de Chagossiens survivent, depuis parfois des décennies, dans la précarité tout en caressant l’espoir de revenir vivre sur la terre de leurs ancêtres et notamment sur l'atoll de Diego Garcia, l'île principale des  « Ziles-là-haut » ?

 

Saint-Denis de la Réunion, 2 juillet 2003


Résumé

 

          Situé au cœur du bassin central de l’océan Indien, dans l’archipel des Chagos, l’atoll madréporique de Diego Garcia est aujourd’hui l’une des principales bases militaires américaines aéronavales à l’étranger et la seule base anglo-américaine permanente dans l’océan Indien. Il en est ainsi, sur le plan juridique, en vertu d’un traité anglo-américain signé à Londres le 25 février 1976. De fait, la base de Diego Garcia permet aux Etats-Unis de contrôler tous les verrous de l’océan afro-asiatique et, par ricochet, tout le trafic aérien et maritime sur un espace de quelque 75 millions de km2. Cependant, cette base n’a pas joué un rôle majeur dans la deuxième guerre du Golfe qui a abouti au renversement du Président irakien Saddam Hussein, le 10 avril 2003. À son sujet, on peut parler d'un déclin au moins relatif. Mais sur un autre versant, l'archipel des Chagos est officiellement revendiqué depuis 1980 par le gouvernement de Port-Louis tandis que ses habitants ­– déportés pour la plupart dans les faubourgs de la capitale mauricienne – réclament depuis 1983 un droit de retour dans leurs îles natales. C'est dire que la communauté internationale n'a pas fini d'entendre parler de Diego Garcia sur le double plan politique et juridique.


Bibliographie

 

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Cadoux, Ch. (1976), « Seychelles : l’An I de la République », Annuaire des pays de l'océan Indien (APOI), volume III, p. 397-407.

Claude, P. (2003), « La “bataille de Bagdad” », Le Monde, 6-7 avril, p. 3.

Labrousse, Henri (contre-amiral) (1973), Le Golfe et le Canal. La réouverture du canal de Suez et la paix internationale, Paris, PUF, p. 23.

Leymarie, Philippe (1976), « Grandes manœuvres dans l’océan Indien. La base de Diego Garcia, sur la route des pétroliers et des cargos », Le Monde diplomatique, décembre, p. 19.

Malaisé, H. (2001), « Exil forcé loin de Diego Garcia », Le Monde diplomatique, décembre, p. 21.

Rousseau, Ch. (1972), « Chronique des faits internationaux », RGDIP, n° 1, p. 182-184.

Toussaint, Auguste (1974), L’Océan Indien au XVIIIe siècle, Paris, Flammarion, p. 57-58.

Toussaint, Auguste (1972), Histoire des îles Mascareignes, Paris, Berger-Levrault, p. 16-17.

Winchester, S. (2001), « La plus grande base américaine du monde. Diego Garcia, ses plages et ses superbombardiers », Courrier international, n° 53, 25-30 octobre, p. 52-53.



* Professeur de Droit public à l’Université de La Réunion (Université Française de l’Océan Indien).

Cette étude a été achevée à Saint-Denis de La Réunion le 2 juillet 2003.

[1] Voir Malaisé (2001).

[2] Voir Procès-verbal de l'Assemblée générale des Nations unies pour l'année 2001 (A/56/PV. 46, p. 17).

[3] Voir Labrouse (1973).

[4] Voir Cadoux (1976).

[5] Voir Rapport PROSSER (conseiller pour les questions sociales au ministère britannique du département d'outre-mer) in Mauritius-Resettlement of persons transferred from Chagos Archipelago, september 1976, Government Printer, Port-Louis, île Maurice (7 pages).

[6] Voir Toussaint (1974).

[7]  Voir Toussaint (1972).

[8] Voir Leymarie (1976).

[9] Voir Rousseau (1972).

[10] Voir Winchester (2001).

[11] Voir notamment Claude (2003).

[12] Voir A/56PV. 46, p. 17 (c’est l’auteur qui souligne).

[13] Voir Balmond (2001).

[14] Voir « Un passeport britannique et européen pour les Chagossiens. God save the Chagos », Le Quotidien de la Réunion, 23 mai 2002, p. 18.


 [RM1]Dans tout le texte, on parle de la Grande-Bretagne et, dans les citations, du Royaume-Uni ? ? ?