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Les grandes compagnies
de commerce et de navigation au XVIII°siècle
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(par Philippe HAUDRERE, Université d’Angers ; article paru dans L’Information historique n°59 1997, pp. 34 à 42) |
Le modèle de ces grandes compagnies est la Compagnie
hollandaise des Indes orientales ou Verenigde Oost Indische Compagnie
(V.O.C.), créée en 1602 par fusion d’une dizaine de sociétés locales d’armement
installées dans divers ports des Provinces-Unies, et dotée par un acte des
Etats généraux du monopole des armements et du commerce avec les pays situés
« u-delà du Cap de Bonne-Espérance ». L’originalité de cette société
est l’existence d’un capital social considérable de 6 300 00 florins, (soit
environ 7 900 000 livres tournois), divisé en 2200 actions, dont la souscription
était ouverte aussi bien aux nationaux qu’aux étrangers. Le caractère permanent
du capital (qui exclut le recours à une mise de fonds pour chaque armement),
l’ouverture à un grand nombre de souscripteurs, et surtout l’importance de
la somme réunie constituent une nouveauté véritablement « révolutionnaire ».
A l’imitation des Hollandais, les autres nations européennes
créent de grandes compagnies. En 1613, les armateurs de Londres, qui avaient
reçu en 1600 le monopole des relations commerciales par mer entre l’Angleterre
et l’Asie pour leur East India C°, se dotent d’un capital social permanent,
puis –seconde étape- à la suite de la création d’une compagnie rivale par
les négociants des autres ports d’Angleterre en 1688, acceptent de fusionner
dans une grande société nationale en 1707. En 1664, à l’initiative de Colbert,
une Compagnie française des Indes orientales est créée, et elle est dotée
dès le début d’un capital considérable de quinze millions de livres tournois,
ce qui en fait la plus importante société financière du royaume. La Compagnie
danoise (Danish Asiatik Kompagnie) est fondée en 1670 et la Compagnie
suédoise (Ostindiska Kompaniet) en 1731, toutes deux avec une organisation
très proche de celle des compagnies précédentes.
Ces
grandes compagnies sont actives uniquement dans le commerce entre l’Asie et
l’Europe. Il a été essayé à plusieurs reprises de créer des compagnies analogues
pour les échanges avec l’Amérique, mais celles-ci ont eu toujours une durée
d’existence limitée. La Compagnie hollandaise des Indes occidentales est active
durant moins d’un demi-siècle, alors que la Compagnie des Indes orientales
poursuit les échanges pendant plus de deux siècles ; la Compagnie française
des Indes occidentales, créée en 1664, s’effondre en 1674, alors que la Compagnie
des Indes orientales est « suspendue » en 1769. Cette différence
tient à l’étendue du domaine d’action naval ; il est possible de pratiquer
le trafic avec l’Amérique en disposant de moyens financiers assez restreints,
tandis qu’avec l’Asie, il
En dernière analyse, ce sont les difficultés d’investissement qui expliquent l’apparition des grandes compagnies de commerce et de navigation. Elles ont été créées et se sont développées dans les Etats de l’Europe occidentale, dans lesquels les particuliers disposent de réserves importantes de fonds et elles ont mis au point des mécanismes efficaces pour réunir des fonds, en particulier la société par actions. A l’inverse, elles n’ont pas réussi à s’établir, malgré d’assez fréquentes tentatives, dans les Etats dans lesquels les particuliers disposent de faibles capacités d’investissement, ainsi le Portugal et l’Espagne.
Toutes les actions de ces grandes compagnies sont des
titres au porteur dont la négociation est facile. Les Compagnies des Indes
sont à l’origine de la création des bourses des valeurs, aussi bien à Amsterdam,
qu’à Londres ou à Paris. Dans celle-ci le lien est marqué dans la topographie
urbaine, puisque la Bourse et la Compagnie des Indes sont installées dans
le même bâtiment, rue Vivienne.
Les directeurs généraux des Compagnies des Indes sont
de grands armateurs ou de grands financiers. Dans la Compagnie hollandaise,
le particularisme local des sociétés d’armement subsiste avec six « chambres »
installées dans les principaux ports du pays, dotées chacune du droit d’armer
pour l’Asie, disposant d’un secrétariat propre avec des directeurs nommés
par les autorités municipales, elles-mêmes étroitement liées avec les oligarchies
marchandes. Chacune des chambres élit des représentants et ceux-ci se réunissent
pour former la direction générale ou Heeren 17, seule autorisée à régler les
expéditions et les ventes, à correspondre avec les comptoirs et à fixer le
montant du dividende. Dans les autres compagnies les directeurs sont désignés
par les actionnaires, mais ce sont toujours des spécialistes du grand commerce
maritime, généralement liés entre eux par des intérêts communs ou des alliances
matrimoniales.
Le principal intérêt de la fonction de directeur est
de pouvoir accéder à des marchés privilégiés. Pour les français, on peut mentionner
la mainmise sur la traite négrière entre le Sénégal et l’Amérique. Dans les
années 1748 à 1750 la direction de la Compagnie prit conscience que le commerce
des esclaves du Sénégal, dont elle avait le monopole, n’était pas rentable.
Le prix d’un captif au départ de la colonie était d’environ 300 livres :
rendu en Amérique, il revenait à 500 livres et pouvait se vendre 850 livres.
Mais les bâtiments négriers séjournaient souvent pendant de longs mois aux
îles, les colons tardaient à payer les esclaves achetés « à tempérament »,
et le fret de retour vers l’Europe manquait souvent, aussi les voyages donnaient-ils
rarement du profit. La Compagnie envisagea donc d’abandonner ce trafic et
de le remettre à des armateurs privés. Après les années du blocus de la guerre,
il fallait s’attendre à une forte demande des planteurs pour renouveler leur
main d’œuvre, aussi l’opération pouvait-elle devenir fructueuse. Le directeur
et armateur nantais Gabriel Michel, fondateur avec son frère François-Augustin,
correspondant de la Compagnie à Nantes, et Jean-Baptiste Grou, autre armateur
nantais, d’une société de traite négrière, se déclarait prêt à reprendre cette
activité.
Mais il trouva en face de lui un concurrent redoutable
avec la société d’Angola, fondée par un autre armateur nantais, celui-ci d’origine
irlandaise, Antoine Wailsh. Le danger était d’autant plus grand que cette
société était formée d’actionnaires recrutés dans la grande finance parisienne
et la haute administration de la Compagnie. A côté du financier Paris de Montmartel
(qui apportait 375 000 livres) et des banquiers Tourton (375 000 livres) et
Baur (375 000 livres), on y trouvait Michau de Montaran, ancien trésorier
des Etats de Bretagne, et « commissaire du roi auprès de la Compagnie
des Indes » (50 000 livres), le directeur des actionnaires Colabau (50
000 livres), Verzure (25 000 livres), Pannier de Saint-Bal (25 000 livres).
Cette société d’Angola se présentait donc clairement comme un défi à la société
Grou et Michel, ainsi qu’à ses partisans au sein de la Compagnie.
La riposte ne se fit pas attendre. Deux mois après
la fondation de la société d’Angola, la société de Guinée vit le jour. Conçue
sur le même plan que la précédente, elle disposait d’un capital supérieur,
2 400 000 livres contre 1 600 000 livres. On y trouvait des financiers parisiens,
ainsi le fermier général Dupleix de Bacquencourt (560 000 livres), frère du
gouverneur de Pondichéry, les directeurs Pierre Duvelaer (80 000 livres) et
Cottin (100 000 livres), ainsi que Michel Duval du Manoir (40 000 livres),
fils du directeur Duval d’Epremesnil. L’apport de la société Grou et Michel
était de 300 000 livres et Gabriel Michel en son nom personnel versait 100
000 livres.
Ainsi la direction de la Compagnie des Indes se trouvait-elle
écartelée entre deux groupes également influents. La concurrence menaçait
d’être ruineuse, aussi, après un an et demi de discussions, les deux groupes
finirent-ils par s’entendre pour exploiter en commun le monopole. La mise
aux enchères publiques du droit exclusif de la vente des nègres traités au
Sénégal , sous réserve d’accepter de transporter gratuitement une certaine
quantité de fret pour le compte de la Compagnie, ayant été annoncée pour le
26 septembre 1750, les représentants des deux sociétés rivales se réunirent
la veille pour établir un protocole d’accord et se partager à égalité la traite,
chacun envoyant alternativement un navire au Sénégal pour enlever des esclaves.
Ils emportèrent finalement l’adjudication contre le seul enchérisseur indépendant,
la maison Desbruyères et fils de Nantes. Le représentant du roi et les directeurs
qui l’entouraient lors de l’adjudication, dont plusieurs avaient adhéré aux
sociétés de traite, ne pouvaient évidemment ignorer la combinaison mise sur
pied pour leur plus grand avantage personnel (1). Parmi les directeurs généraux
des autres Compagnies des Indes des situations analogues se rencontrent fréquemment,
en particulier pour le financement de la construction et des armements des
navires de l’E.I.C.
Les directions des Compagnies des Indes sont aussi
très proches des cercles gouvernementaux. Les directeurs de la Compagnie hollandaise
créent même en 1749 la fonction de « grand-directeur » pour le stathouder,
en lui donnant le droit de choisir chaque nouveau directeur sur une liste
de trois noms approuvée par les actionnaires. Il reçut en même temps la possibilité
de désigner un « représentant », autorisé à participer aux délibérations
du conseil des Heeren 17 avec droit de veto. Dans les Compagnies de Suède
et de Danemark, un « commissaire » représente le roi, principal
actionnaire, dans les principaux conseils. Une disposition analogue est mise
en place en France en 1731. Ici, le « commissaire du roi » est
un maître des requêtes, nommé sur proposition du contrôleur général des finances,
qui rend compte régulièrement à ce ministre de la situation de la Compagnie.
Il participe au conseil de direction et il peut s’opposer à ce que soit prise
une décision. Il propose aussi à l’approbation du roi la nomination des directeurs.
L’E.I.C. n’a aucune institution de ce genre, cependant plusieurs de ses directeurs
sont membres du Parlement et on trouve parmi ses directeurs des représentants
de la haute noblesse de la cour, ainsi à la fin du XVII° siècle, le duc de
Beaufort et son frère, le marquis de Worcester, filleul du roi.
La construction et l’armement des vaisseaux entrent pour au moins 60% dans les dépenses des Compagnies. Les techniques de construction sont tout à fait analogues à celles des autres navires de commerce, mais le coût est plus élevé car il faut des bâtiments de grande solidité pouvant accomplir de longs voyages dans des mers chaudes. La contenance moyenne des navires au XVIII° siècle est de 600 tonneaux, et il faut une centaine d’hommes pour les manœuvrer. La V.O.C. a une flotte de 60 à 70 vaisseaux, l’E.I.C. de 35 à 45, et celle des Français est à peine moindre. Les Danois et les Suédois en ont beaucoup moins. En général les navires des compagnies peuvent naviguer durant une dizaine d’années et ils peuvent faire quatre voyages, parfois cinq.
Les Compagnies des Indes font généralement construire leurs vaisseaux sur leurs propres chantiers. Chacune des chambres de la V.O.C. (Amsterdam, Zeeland ; Rotterdam, Delft, Hoorn, Enkhuizen) dispose d’une installation propre. Les français ont des cales de construction à Lorient et les Danois à Copenhague. L’E.I.C. pratique la même politique durant le premier demi-siècle de son existence et fait construire les navires dont elle a besoin sur ses chantiers de Blackwall et Deptford. A partir de 1652, la direction générale décide de prendre à fret les navires afin d’éviter la mise de fonds importante de la construction ; elle ouvre ainsi la possibilité de placements intéressants pour son haut personnel. Ainsi parmi les dix-huit propriétaires du Boscawen, bâtiment construit à Blackwall, en 1747 et loué l’année suivante par l’E.I.C. pour un voyage à Bombay et Moka, trouve-t-on quatre directeurs de la Compagnie, Baker, Braund, Crabb et Harrison. Le dernier étant membre du Parlement, et le premier principal conseiller du Duc de Newcastle, alors premier ministre, pour tout ce qui concernait les questions commerciales. Les profits laissés par de telles opérations sont loin d’être négligeables, ainsi la somme de 1120 livres placés par Braun lui en rapporte-t-elle 1435 en 1751, soit 22% en quatre ans. La surveillance de la construction et de l’armement est donnée à l’un des associés, généralement un ancien officier des vaisseaux de l’E.I.C., qui devient le « mari » (husband ) du vaisseau, position très recherchée car elle peut rapporter et elle donne de l’influence grâce au choix des officiers composant l’état-major. Dans les autres compagnies, la surveillance de la construction et de l’armement ainsi que le choix des états-majors appartiennent aux directeurs.
La navigation entre l’Europe et l’Asie obéit à un calendrier précis. Il faut nécessairement quitter l’Europe entre la fin d’octobre et le début d’avril, puis à l’intérieur de cette période les départs s’échelonnent selon la distance à parcourir. En premier lieu vient la Chine, de novembre à février ; puis l’Inde, de décembre à mars. Ce calendrier est imposé par le rythme de la mousson, qui nécessite de combiner la traversée de manière à passer dans l’océan Indien au moment favorable, c’est-à-dire en utilisant la mousson du sud-ouest qui souffle d’avril à octobre et porte les navires vers le continent. Dans l’ensemble la concurrence impose d’arriver en Asie assez tôt dans la saison, de façon à pouvoir éviter la montée du prix des denrées, résultat de l’afflux des vaisseaux européens. Il faut aussi tenir compte des vents contraires, surtout dans le golfe de Gascogne ; les Suédois et les danois qui font systématiquement le tour de la Grande Bretagne, arrivent fréquemment les premiers en Asie, malgré l’allongement de la distance.
Une fois sorti des mers littorales de l’Europe, il faut gouverner au sud pour reconnaître Madère puis les Canaries. On entre alors dans les alizés, vents permanents qui soufflent du nord-est. Au-delà le voisinage de l’Equateur est redouté par les navigateurs, car c’est une zone de vents variables et de calmes, aussi la conduite des vaisseaux demande-t-elle beaucoup d’habileté et d’expérience. Généralement la meilleure solution consiste à franchir l’équateur très à l’ouest du méridien de l’île de l’Ascension et au voisinage de la côte du Brésil. Ce trajet permet de contourner l’alizé dans l’hémisphère sud et de gagner plus rapidement la zone des hautes latitudes dans laquelle soufflent les vents d’ouest. La route qui consiste à longer la côte du Brésil, puis à passer entre l’Amérique et l’île de la Trinité, en demeurant à la vue de cette dernière, est finalement plus assurée que celle qui se dirige directement vers l’extrémité de l’Afrique. Au voisinage du 30e parallèle sud, les navigateurs rencontrent les grands frais d’ouest qui permettent de franchir le Cap de Bonne-Espérance. Le parcours devient alors assez rapide, mais dur, car l’on y est fréquemment secoué par des gros temps.
Presque toutes les puissances européennes faisant du commerce
avec l’Asie disposent d’escales au voisinage du Cap. Les Hollandais sont installés
au Cap même, les Anglais à l’île de Sainte-Hélène, les Français à Bourbon
et à l’île de France. En effet le passage du Cap intervient six mois environ
après le départ de l’Europe et il faut permettre aux équipages de se reposer
afin de prévenir l’apparition du scorbut, qui se produit autour du sixième
mois. Il faut aussi pouvoir prendre de l’eau, du bois, des produits alimentaires,
et réparer éventuellement les dommages subis par les navires. Toute l’économie
des escales est conçue dans cette perspective ; on y développe les cultures
vivrières, non les cultures tropicales, au contraire des Antilles.
Au-delà du Cap trois routes s’offrent aux navigateurs désireux de gagner l’Asie : le « passage intérieur » par le canal de Mozambique, la « petite route » par l’est de Madagascar, la « grande route » passant par le sud de l’océan Indien. La première est la plus courte, et elle est empruntée très généralement par les Britanniques, les hollandais et les Suédois. La « grande route » consistant à rester dans les vents d’ouest jusqu’au méridien des îles Saint-Paul et Amsterdam, puis à gouverner au nord à partir de ce point, est peu fréquentée. C’est un itinéraire praticable en toute saison, même lorsque les autres routes sont aléatoires, mais il est long, fatiguant, car la durée de la navigation est de plus de trois mois sans escale, et il faut que les officiers aient beaucoup de pratique, car il faut éviter de mettre trop rapidement le cap au nord. La « petite route » est empruntée généralement par les Français, car elle permet de rejoindre les Mascareignes. Ensuite, au départ de ces îles, ils reconnaissent le nord-est de Madagascar, puis ils s’élèvent au nord et gagnent l’Inde en un mois environ en passant par le « canal des forbans » entre les Maldives et les Laquedives. « Canal des forbans » car il fut initié par G. Watkins, corsaire repenti et célèbre pilote.
L’approche des comptoirs est parfois difficile. Les rades de la côte Coromandel, comme celles de Madras et de Pondichéry, sont ouvertes et n’offrent aucune protection contre les coups de vent. Les vaisseaux, arrivés en août ou en septembre, déchargent leurs cargaisons d’envoi, puis vont « hiverner » dans la rade d’Achem au nord de Sumatra. Les Hollandais s’abritent dans la rade de Batavia. En effet la côte est très dangereuse d’octobre à décembre en raison des tempêtes qui accompagnent le changement de mousson. Au Bengale, les vaisseaux entrent par un bras du Gange, l’Hougli, sur le bord duquel se trouvent les établissements européens. C’est un trajet particulièrement pénible pour les équipages, car pendant une quinzaine de jours, il faut « touer », c’est-à-dire haler le vaisseau en le tirant à l’aide du cabestan sur une ancre préalablement posée dans le lit du fleuve. C’est aussi une navigation dangereuse en raison de la violence du courant, des crues brutales et des bancs de sable. La sécurité des bâtiments repose sur la compétence des pilotes et toutes les compagnies entretiennent des « pilotes du Gange » qui peuvent être embarqués sur les vaisseaux de toutes les nationalités. Durant l’hivernage les navires restent à l’ancre devant les comptoirs. Pour gagner Canton, les bâtiments empruntent généralement le détroit de la sonde, ou bien le détroit de Malacca s’ils viennent du Bengale ou de la côte Coromandel. Ce sont des passages difficiles en raison de la faible profondeur du premier (8 mètres pour des bâtiments qui ont 5,50 à 6 mètres de tirant d’eau) et de la fréquence des vents contraires dans le second. Au-delà des détroits, il faut longer la côte d’Annam, puis le littoral d’Haï-Nam et enfin celui du Kouang-Toung. Après 1740 une nouvelle route prévaut. Elle consiste à effectuer un vaste mouvement vers l’est jusqu’aux Philippines, puis, parvenu au nord de cet archipel, à changer de cap pour si diriger vers la Chine. Cet itinéraire est long, mais il est plus sûr, car il évite une longue approche, toujours dangereuse, et surtout il permet de naviguer à contre-mousson, avantage considérable pour des vaisseaux retardés en cours de route.
Les retours s’effectuent une fois la mousson du nord bien établie, de janvier à avril. En outre il faut prévoir de franchir le Cap de Bonne-Espérance avant la mauvaise saison, c’est-à-dire avant la fin du mois de mai. La traversée de l’océan Indien s’effectue dans des conditions analogues à celles du voyage d’aller, mais le canal de Mozambique est peu utilisé. Le passage du Cap de Bonne-Espérance constitue la partie la plus délicate du trajet, car il est situé à la jonction de plusieurs systèmes de vent. Il faut suivre de près la côte afin de pouvoir profiter des courants qui portent vers l’ouest. Du mois de juin à celui d’octobre, la force des vents généraux d’ouest, utiles pour aller de l’Atlantique dans l’océan Indien, mais gênant dans l’autre sens, rend le passage d’est en ouest presque impossible. Certains navires sont contraints de rebrousser chemin et d’attendre dans une rade un moment plus favorable.
Après le passage du Cap, les bâtiments se laissent porter par l’alizé du sud-est et se tiennent près de la côte d’Afrique de manière à pouvoir profiter du courant de Benguela, puis ils prennent le nord-ouest en direction de Sainte-Hélène et de l’Ascension. La seconde île est la plus fréquentée bien qu’il ne s’y trouve pas de sources. Mais on y capture de grandes quantités de tortues de mer, qui permettent de faire des bouillons reconstituants pour les malades atteints du scorbut, et surtout on peut y avoir des nouvelles de l’Europe. En cas de conflit les compagnies envoient des aviso qui stationnent à proximité de l’île et peuvent prévenir les officiers des bâtiments d’avoir à se tenir sur leurs gardes. A partir de l’Ascension, on gouverne au nord-ouest de manière à passer largement à l’ouest des îles du Cap-Vert et à contourner les Açores. On profite ainsi des vents émis par les hautes pressions installées sur cet archipel durant l’été et le début de l’automne, saisons pendant lesquelles les vaisseaux se trouvent dans ces parages. Au-delà on pénètre dans la zone des vents d’ouest dominants, particulièrement favorables pour le retour. L’arrivée en Europe se situe durant la belle saison, de juillet à septembre, et les ventes se déroulent depuis la seconde quinzaine d’octobre jusqu’à la fin de novembre.
En moyenne les voyages durent de 20 à 26 mois dont 16 à 20 passés à la mer. On ne cherche pas systématiquement à réduire la durée de ces voyages, car dans le système du monopole la concurrence ne joue pas et le temps a peu d’importance. Cependant au cours du siècle la durée tend à diminuer légèrement pour atteindre 18 à 24 mois dans la dernière décennie. Cette amélioration résulte d’une plus grande sécurité et d’une plus grande régularité permise par l’évolution des techniques de navigation, en particulier la réalisation de cartes nautiques.
Une représentation cartographique améliorée
La publication en 1745 du Routier des côtes des Indes orientales et de la Chine, rédigé par l’officier de marine de la Compagnie française des Indes Jean-Baptiste d’Après de Mannevillette est une étape importante de la connaissance scientifique. Jusqu’alors les officiers des compagnies disposaient uniquement d’extraits manuscrits des journaux de navigation des bâtiments ayant suivi la même route. Les Portugais, qui disposaient d’une bonne documentation, refusaient de la divulguer. Le routier de d’Après, fondé sur le dépouillement de nombreux journaux de navigation, éclairé par son expérience de la navigation, eut immédiatement un grand succès, et fut tout de suite traduit en anglais. Jusqu’à sa mort, survenue en 1780, d’Après ne cessa de le perfectionner, avec des additions tirées de sa pratique navale, de celle de ses confrères, ou de celle des pilotes avec lesquels il entretenait une correspondance active. En 1765, il publia un abrégé de navigation sous le titre Mémoire sur la navigation de France aux Indes, dont il procura en 1768 une édition enrichie, en particulier avec des indications fournies par Dalrymphe, hydrographe de l’E.I.C., et surtout il donna en 1775 une édition totalement refondue de son routier, sous le titre de Neptune oriental. Enfin, il prépara un supplément de cet ouvrage, en tenant compte des observations formulées par ses confrères, supplément publié après sa mort, en 1781.
Outre les indications sur les routes, l’ouvrage de d’Après comporte des cartes, qui en sont la partie la plus neuve et la plus utile. Jusqu’au milieu du XVIII° siècle, la cartographie de l’océan Indien est dominée par les Hollandais. Ceux-ci avaient fourni pendant le siècle précédent un travail considérable d’exploration et de transcription, cependant beaucoup de leurs cartes n’avaient pas été divulguées, de manière à conserver le monopole commercial de la V.O.C., aussi les autres Européens étaient-ils souvent réduits, soit à pratiquer l’espionnage, soit à utiliser des représentations défectueuses. La carte utilisée le plus souvent est celle qui avait été dressée par Pieter Goos vers 1696, révisée par Jan Van Keulen en 1710. Celle-ci comportait d’assez nombreuses erreurs et des lacunes. La position des côtes en longitude est erronée d’une trentaine à une centaine de kilomètres sur le littoral de l’Afrique, de beaucoup plus sur celui de l’Australie. L’archipel situé au nord-est de Madagascar, ainsi que celui des Maldives sont particulièrement mal cartographiés, et ce sont des lacunes graves sur des routes très fréquentées par les navires des compagnies.
Sur la Carte réduite de l’Océan oriental de d’Après, la position en longitude de l’Afrique et de l’Asie est à peu près satisfaisante ; la situation de l’archipel situé au nord-est de Madagascar est nettement améliorée. L’île de Madagascar, figurée selon une forme et une orientation erronée sur la carte de Pieter Goos est-elle tracée correctement sur la carte de d’Après, et, pour la première fois, le renflement de la partie littorale du sud-est ainsi que le cap d’Ambre sont figurés avec fidélité. Malgré tout cette carte conserve encore de nombreuses imperfections, ainsi, toujours pour Madagascar, la rade de Diégo-Suarez n’est pas mentionnée, le tracé de la côte sud est peu fidèle, et le cap Saint-André, point très important pour la construction de la carte, est trop au nord ou trop à l’est. Par ailleurs la représentation des archipels comporte encore de nombreuses îles et bancs d’existence douteuse, la position des îles de l’Insulinde est très médiocre, en particulier celle de Bornéo. Il en est de même pour l’Australie.
La seconde carte de d’Après, publiée dans le Neptune oriental de 1775, propose des modifications très importantes. La première consiste dans le figuré correct de Madagascar et des îles voisines. Les Seychelles sont correctement placées. Quelques hésitations demeurent dans la représentation du littoral nord-est et du sud de Madagascar, ainsi que dans celle des bancs et des îles situées au nord des Mascareignes. La côte au voisinage du Cap de Bonne-Espérance est tracée avec précision avec des informations fournies par Dalrymphe. Le figuré de la côte de Sumatra et du détroit de la Sonde, ainsi que celle de l’Insulinde en général, sont améliorées grâce aux relevés effectués par les officiers de la compagnie française. Cette carte, d’une qualité exceptionnelle, restera en service dans la marine jusqu’en 1840.
Un personnel bien rémunéré
La qualité de ce travail cartographique témoigne du haut niveau scientifique du personnel navigant. Les officiers suivent une longue période de formation ; il faut au moins quatre à cinq campagnes comme enseigne « honoraire » ou « surnuméraire » avant d’être admis dans le corps, et de plus, dans l’intervalle des embarquements, il faut suivre un enseignement théorique d’hydrographie. Le « patronage » joue un rôle essentiel dans le recrutement, les fils, neveux, cousins des officiers, ou les protégés des directeurs ayant priorité. A l’intérieur du corps la progression est régulière ; on obtient généralement le grade supérieur après deux campagnes pour devenir capitaine vers l’âge de 45 ans.
Le service des compagnies est très recherché, car les officiers sont bien payés. Leurs appointements sont supérieurs à ceux des officiers de la marine de guerre et voisins de ceux des officiers de la marine de commerce. Dans la V.O.C. une campagne rapporte l’équivalent de 3500 livres tournois à un capitaine, dans la compagnie anglaise et dans la compagnie française environ 4000 livres. Mais l’essentiel n’est pas là ; il est dans le fameux « port-permis ». L’existence de celui-ci repose sur le principe que tous les hommes embarqués ont droit à un certain espace à bord du navire, donc au transport gratuit d’une certaine quantité, plus ou moins importante selon le grade, d’effets personnels. Dans la plupart des compagnies le port-permis est stipulé en volume d’encombrement. Ainsi dans l’E.I.C. au XVIII° siècle, le total du port-permis alloué au personnel est de 25% du tonnage dans le voyage d’aller et de 15% dans le voyage de retour, dont la moitié pour le capitaine et le reste divisé entre les autres officiers et l’équipage. Généralement ce port-permis est composé à l’aller de produits manufacturés européens, recherchés par les Indiens et les Chinois, comme de la passementerie ou des miroirs ; et au retour on y trouve des objets de faible volume et de grande valeur comme des cotonnades de l’Inde, ou du thé et des porcelaines de Chine. Dans la compagnie française, le port-permis est stipulé en valeur. Le capitaine dispose d’un capital de 17 000 livres, le premier lieutenant, 5000 livres, le second lieutenant, 3000 livres, et les autres officiers ainsi que l’équipage à proportion. Le capital est avancé à la caisse de la compagnie par l’officier et il sert à acheter des produits en Asie, ceux-ci sont ensuite transportés gratuitement, vendus à Lorient par la compagnie, qui rembourse le capital grossi du profit de la vente. Grâce au port-permis une campagne peut rapporter le quadruple des appointements, c’est-à-dire environ 35 000 livres à un capitaine, 17 000 livres à un premier lieutenant, et ainsi de suite au reste du personnel.
Les officiers mariniers ont un rôle important à jouer dans le bon déroulement des voyages. Ce sont des hommes ayant une forte expérience de la mer. Souvent âgés de plus de trente ans, ce sont des « maîtres » qui dirigent l’équipage durant les manœuvres, assurent la conduite des vaisseaux en qualité de pilotes, ou bien exercent les fonctions de charpentier, calfat, voilier. Les matelots ont en général entre 20 et 30 ans, et ils ont déjà navigué au long cours. Les mousses, qui effectuent leur premier voyage, ont de 9 à 15 ans. La proportion est voisine de un mousse pour dix matelots. Anglais et Français ont besoin chacun de 1500 à 2000 hommes de mer par an, les Hollandais, 3000 à 4000. Dans l’ensemble les appointements sont inférieurs à ceux qui sont donnés dans le commerce, environ d’un tiers chez les Français, et une campagne peut rapporter 1000 livres à un marinier, 700 à 800 livres à un matelot, 100 à 150 livres à un mousse. Mais la différence des salaires entre marine de commerce en général et marine des compagnies est largement compensée par le port-permis. Dans la compagnie française un marinier a droit à un capital de 863 livres, un matelot à 61 livres, et un mousse 11 livres.
De plus il faut ajouter la « pacotille » au port-permis officiel. La pacotille est pratiquée par tous, officiers comme matelots. Elle consiste à embarquer quelques produits pour son propre compte et à en assurer la vente. La part de ce trafic illicite est évidemment impossible à mesurer, mais elle est certainement très considérable, comme le montre la répétition des mesures d’interdiction des pacotilles prises par les directions des compagnies. La revente des pacotilles joue un rôle important dans l’activité commerciale des villes portuaires disposant d’un « quai des Indes ». A l’arrivée des vaisseaux venant des Indes, les habitants de Lorient se rendent en foule à bord où ils prennent des marchandises qu’ils introduisent ensuite dans leurs poches et sous leurs vêtements avec la plus grande sécurité, d’autant qu’ il est « impraticable de faire la visite de leurs personnes » écrit le directeur du port en 1766.
Une forte mortalité
Ces avantages constituent, d’une certaine façon, une
compensation aux risques importants courus par les gens de mer. Les décès
sont nombreux à bord des vaisseaux des Compagnies des Indes ; ils sont
en moyenne de 13 à 15% des hommes embarqués, dont environ 10% par maladie.
La dysenterie et le scorbut sont les maux les plus fréquents, et on cherche
à les combattre en augmentant la fréquence des escales, en améliorant la formation
des chirurgiens embarqués, et surtout en veillant au bon équilibre de la ration
alimentaire. Tous les conseils de direction des Compagnies des Indes se préoccupent
de trouver des remèdes à la forte mortalité du personnel embarqué. En 1736,
les Heeren 17 demandèrent une consultation à ce sujet au célèbre Herman
Boerhave, professeur de médecine à l’Université de Leyde, et celui-ci se contenta
de prescrire une amélioration de la ventilation des entreponts, alors qu’un
étudiant de la même Université, Joan Bachstrom, venait de soutenir en
1734 une thèse intitulée Observationes circa scorbutum, dans laquelle
il établissait de manière scientifique l’origine de la maladie et proposait
des remèdes. En Grande-Bretagne, James Lind publie en 1753 A treatise of
the scurvy et conseille plusieurs mesures préventives. De même en France
Luillier publie en 1726 un Traité des maladies particulières aux pays orientaux,
dans lequel il affirme : « Les particuliers doivent, s’il leur est
possible, faire provision de jus de citron, s’abstenir, autant que faire se
pourra, d’alimens s’ils ne sont pas frais, se laver souvent la bouche et le
corps pour en ôter l’ordure ». Les résultats de toutes ces recherches
sont vulgarisés par Duhamel du Monceau, dans un ouvrage publié en 1759, intitulé
Moyens de conserver la santé des équipages. Il y insiste sur la nécessité
de conserver les vaisseaux en bon état de propreté et de maintenir une certaine
hygiène chez les hommes embarqués ; il préconise aussi l’usage du jus
de citron, dont il donne une recette pour la conservation, et il conseille
d’introduire dans la ration alimentaire des légumes frais, des haricots verts,
de la choucroute, de l’oseille et des artichauts. Ces livres sont consultés
par les directeurs des compagnies comme par les chirurgiens embarqués. On
rencontre dans la correspondance officielle des compagnies plusieurs allusions
à ces travaux, ainsi que cette lettre écrite par le gouverneur des Mascareignes
au conseil des directeurs en 1758 : « J’ai (reçu) votre première
lettre accompagnée de deux livres qui traitent du scorbut et des remèdes qui
y sont propres. Je vais faire en conséquence telle provision qui sera possible
de citrons. Je ne suis pas mal sur l’article des légumes ». Il en résulte
une amélioration notable de la santé du personnel navigant. Dans les années
1760, le taux de mortalité diminue pour descendre en-dessous de 10% ;
dans la décennie 1770, il est voisin de 8%.
Toute cette organisation navale est au service des
trafics commerciaux entre l’Asie et l’Europe.
L’originalité de ces trafics est qu’ils se font par
échange de métaux précieux, or et surtout argent, contre des produits fabriqués.
Les métaux précieux entrent toujours au moins pour la moitié de la valeur,
et parfois bien davantage des cargaisons envoyées en Asie. Seule la compagnie
hollandaise échappe un peu à cette obligation grâce aux profits de son commerce
colonial local et à l’étendue de sa domination côtière. L’importance des envois
de métaux précieux est un élément constant des critiques contre la poursuite
du commerce avec l’Asie, et il explique le souci des administrateurs coloniaux
des compagnies de trouver des ressources financières sur place en étendant
la domination continentale européenne sur quelques régions de l’Orient, ainsi
les Hollandais en Insulinde et les Britanniques au Bengale.
Le complément des cargaisons d’envoi en fait de produits
lourds servant de lest, ainsi des fers plats ou carrés et du plomb en lingots,
ou encore des produits alimentaires destinés à satisfaire les besoins des
Européens –les vins de Bordeaux apportés en grande quantité par les Français
se vendent très bien-, ainsi que des étoffes légères de laine, comme les étamines,
bien adaptées au climat chaud. Ces étoffes sont le seul produit de fabrication
européenne demandé par les Indiens, aussi la rivalité est-elle vive entre
les compagnies pour la conquête des marchés.
La bonne composition des cargaisons des retours est
une préoccupation constante des administrateurs des compagnies. Trois produits
y tiennent une grande place : le thé, le poivre et les cotonnades. Le
marché du thé est dominé par les Britanniques qui importent en moyenne quatre
millions de livres poids de marc de cette plante dans les années 1730, huit
millions vers 1740, douze millions autour de 1750. Ils sont suivis par les
Français, dont les importations sont le tiers à peu près de celles des Britanniques,
puis les Hollandais, venus tardivement sur ce marché, dont les achats sont
proches en quantité de ceux des Français au milieu du XVIII° siècle. Les continentaux
recherchent surtout le thé Bouy, la qualité la plus médiocre, car une grande
partie des cargaisons est achetée par des marchands qui les font passer en
fraude dans les îles britanniques. Le marché du poivre est dominé par les
Hollandais, qui chargent chaque année plus de deux millions de livres en poids
sur leurs vaisseaux ; ils sont suivis par les Britanniques, avec 700
000 livres en moyenne et par les Français avec 500 000 livres. Pour les cotonnades,
chacune des trois principales compagnies transporte environ 300 000 pièces
par an. Les toiles de couleur, « peintes » ou « teintes »,
tiennent une place importante dans les cargaisons hollandaises, tandis qu’elles
ont une place assez réduite dans les retours des Britanniques et des Français
en raison d’une réglementation douanière contraignante, mais largement contournée,
qui oblige à envoyer les étoffes de couleur hors du pays.
Parmi les autres produits achetés en Asie on trouve
des épices comme la cannelle, des étoffes comme les soieries, qui tiennent
une place importante dans les cargaisons britanniques, du café, des produits
pondéreux, ainsi les bois de teinture, le salpêtre et les cauris, petits coquillages
utilisés comme monnaie divisionnaire dans les trafics négriers. La porcelaine
de Chine, dont chaque compagnie amène annuellement en Europe 200 000 à 400
000 pièces, est considérée comme un lest.
Dans l’ensemble le trafic ne cesse d’augmenter au cours
du siècle. Durant les trois premières décennies, la première place appartient
à la V.O.C., avec des ventes annuelles d’un montant de 35 à 40 millions de
livres tournois, suivie par l’E.I.C. (20 à 25 millions de livres) et la compagnie
française (10 à 15 millions de livres). Au milieu du XVIII° siècle les Français
et les Britanniques rivalisent pour la seconde place avec des ventes de 20
à 25 millions de livres pour chaque compagnie. Après 1765, les ventes de l’E.I.C.
avoisinent les 40 millions de livres et se rapprochent de celles de la V.O.C. ;
dans les années 1770 l’E.I.C. poursuit son essor et devient la première compagnie
européenne avec des ventes d’un montant de 45 à 50 millions de livres. Cette
évolution n’entraîne pas de diminution notable du chiffre des affaires des
autres compagnies ; il y a donc, au-delà des rivalités commerciales entre
les compagnies, une croissance globale du marché.
L ‘analyse du mouvement des dépenses des compagnies laisse une impression beaucoup moins favorable. Le profit disponible ne cesse de diminuer. Les prix des produits orientaux vendus par les compagnies en Europe ne cessent de diminuer en raison de la concurrence entre les compagnies. En même temps les prix d’achat en Asie s’élèvent constamment en raison de la forte demande des compagnies européennes. De plus les prix de la construction navale augmentent, ainsi que les salaires des personnels. Dans la seconde moitié du XVIII° siècle, toutes les grandes compagnies de commerce connaissent des difficultés. Le déficit croissant de la compagnie française amène le gouvernement à suspendre son activité en 1769 et à ouvrir la route du Cap à tous les négociants ; pour le même motif la compagnie danoise est profondément réorganisée en 1772 et son monopole est restreint au commerce avec la Chine ; l’E.I.C. se trouve en difficulté la même année bien qu’elle ait de grandes disponibilités financières en Inde même grâce à la mainmise sur le Diwani ou ferme des impôts du Bengale imposée au nabab après la défaite qu’il avait subie à Plassey en 1757, et la direction est contrainte d’accepter un contrôle régulier de ses activités financières par le Parlement ; la compagnie hollandaise elle-même éprouve des difficultés croissantes, en particulier à cause de l’accroissement de ses dépenses de souveraineté. Ainsi les grandes compagnies de commerce et de navigation disparaissent-elles progressivement à la fin du XVIII° siècle et au début du XIX° siècle ; la dernière en date, l’E.I.C. étant supprimée en 1857 alors qu’elle avait été contrainte de renoncer à son monopole commercial depuis un bon demi-siècle. Une nouvelle organisation du trafic, fondée sur le libre accès de tous les armateurs à la route maritime vers l’Asie se met alors en place.
Bibliographie et
sources
1/ Sur les compagnies en général :
L.
Blusse et F. Gaastra, Companies and trade. Essays in overseas trading companies
during the Ancien Regime, Leiden, 1981.
M. Morineau, Les grandes Compagnies des Indes orientales,
XVI°-XIX° siècles, Paris, 1994.
2/ Sur la V.O.C.
J.
Bruijn, F. Gaastra et I. Schöfer, Dutch Asiatic shipping in the 17th
ad 18th centuries, La Haye, 1987
3/ Sur l’E.I.C.
K.N.
Chaudhuri, The trading world of Asia and English East India Company, 1660-1760,
Cambridge, 1978.
4/ Sur la compagnie française :
P. Haudrère, La Compagnie française des Indes au
XVIII°siècle, Paris, 1989
5 / Sur la compagnie suédoise :
C.
Koninckx, The first and second charters of the Swedish East India Company
(1731-1766). A contribution to the maritime economic and social history of
northwestern Europe in his relationships with the Far East
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