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Fabrice Folio

A.T.E.R. Université de la réunion

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E-mail : folio_f@hotmail.com

 

Singularités des villes du Kwazulu-Natal (Afrique du Sud) – IUFM, le15/11/2003

 

 

Cette communication s’inspire d’une thèse de géographie humaine menée sous la direction du professeur J.L.Guebourg sur la province sud-africaine du Kwazulu-Natal (KZN). Les recherches conduites sont à la charnière de l’analyse régionale et de l’analyse thématique au sens ou les réflexions ont porté sur les relations intra et interurbaines de ce territoire.

Le Kwazulu-Natal, d’une superficie de 92 180 km², est peuplé de 9,4 millions d’habitants (selon le recensement de 1999). C’est l’une des neuf provinces de la nation « arc-en-ciel », située au nord-est du pays, baignée par l’océan Indien à l’est et bordant entre autres le Lesotho, le Swaziland et le Mozambique. Pour l’île de la Réunion, il s’agit d’une contrée sous les feux de l’actualité, au regard de la convention cadre récemment signée entre cette province et le conseil régional visant       à une étroite coopération  dans des domaines variées (éducation, recherche, environnement, économie…). Ses villes représentent en outre un laboratoire spatial, social et culturel de premier ordre dans l’actuelle Afrique du Sud post-apartheid.

Les écrits ayant pour objet la ville sud-africaine constituent actuellement une masse d’informations de plus en plus riche. Il existe un petit vivier de chercheurs qui étudient les recompositions de la ville d’apartheid tant stigmatisée. Toutefois, la plupart des études portaient jusqu’à présent sur les métropoles sud-africaines : Johannesburg, le Cap ou Durban... Il était par conséquent relativement novateur de mener une étude comparative sur un plus vaste terrain, une recherche portant sur les dynamiques inter-villes sud-africaines. Le Kwazulu-Natal s’est posé comme le support de ces réflexions. Parvenir à une adéquate mesure des centres urbains de cette province fut à la fois complexe et instructeur : les villes n’offrent pas toutes la même morphologie, elles ne sont pas intéressées également par les mêmes héritages d’apartheid ; derrière la métropole de Durban, se trouvent de nombreuses petites et moyennes villes trop peu connues, d’inégale importance, présentant leurs propres particularités. Ces pistes de travail impliquaient dans ce contexte une comparaison à deux échelles : échelle locale soit intra-urbaine, et échelle régionale, celle du KZN, qui correspond donc au domaine interurbain. On aboutit de facto à deux axes de réflexion :

-         D’abord mettre l’accent sur la nécessité, de nos jours, de remettre en cause le schéma d’organisation spatiale connu de la ville sud-africaine à travers l’exemple du Kwazulu-Natal. Ce schéma présente une sorte de « ville clone » à grande échelle, une entité qui aurait été touchée uniformément par la politique d’apartheid instituée au plan national.

-         Ensuite démontrer toute l’originalité, cette fois à petite échelle, de l’armature ou de la hiérarchie urbaine du KZN, si on la compare notamment aux autres provinces sud-africaines mais aussi à d’autres régions de pays neufs à l’échelle du globe.

I] A grande échelle : des paysages contrastés pour 5 classes de ville


Le schéma de structure spatiale de la ville provinciale s’organise selon un modèle sectoriel. En dépit des évolutions post-apartheid, il s’inspire encore beaucoup de celui très célèbre de la « ville d’apartheid » dressé par Ron Davies en 1981, au plus fort de la politique ségrégative. Il s’agit d’un schéma de synthèse des formes paysagères relevées au terme de nos rencontres avec les 43 villes les plus significatives de cette province (municipalité de plus de    2 000 habitants définies en 1996). Sur la figure, émergent les quartiers « originellement » blancs, en situation le plus proche du centre-ville, qui ne cachent pas certains contrastes. En deuxième couronne, ressortent les quartiers dits indiens et métis, et enfin en troisième couronne les quartiers noirs, plus connus sous le nom de « townships ». Ce zonage spatial (zonage autant fonctionnel que racial) est issu de la politique du Group Areas Act de 1950 qui avait institué le développement séparé à l’échelle urbaine.

Dans la décennie 70, l’Afrique du Sud s’est lancée cette fois dans le tristement ambitieux projet du « grand apartheid ». Cette nouvelle politique visait à créer, à l’échelle nationale, des pays ou Etats pour les Noirs, ce qu’on a appelé les « bantoustans » ou homelands. Ces homelands n’ont été que des parcelles pauvres, sous-équipées et éclatées, abritant sur une faible superficie ce qui était alors l’essentiel de la population sud-africaine. Celui du Natal fut le Kwazulu patrie des Zoulous. Ils n’ont évidemment pas été reconnus par la communauté internationale et ont depuis été incorporés dans les nouvelles provinces sud-africaines. On a tout de même décidé à ce moment de construire les townships dans leurs frontières, d’où ces deux catégories de townships dans l’actuelle ville post-apartheid : l’un, à plus faible distance, sur l’ancienne Afrique du Sud blanche, l’autre plus éloigné, dans les anciens bantoustans. Ce faisant, on est très loin d’une ville d’apartheid monolithique.

A l’examen dans le détail les villes provinciales, ce ne sont pas moins de cinq schémas de ville qui se dégagent. Sur le schéma exposé précédemment, se calquent en réalité quatre autres schémas qui présentent chacun leurs nuances. Le schéma 1, en tant que tel, correspond en fait aux villes de Durban ou de Pietermaritzburg, les plus grandes villes du Kwazulu-Natal. Elles ont été intéressées successivement par l’ensemble des politiques ségrégatives, qui ont, en quelque sorte, fait feu de toutes « lois ». Le schéma 2 est celui de la ville du grand apartheid, celle qui a vu l’unique création d’un township noir dans le lointain homeland ; cela conduit presque sur place à distinguer deux villes, l’une africaine, très peuplée et plus pauvre, l’autre blanche et indienne, mieux équipée et développée. C’est le modèle Richards Bay ou Newcastle, la forme aussi la plus « accomplie » du développement séparé urbain qu’on s’est évertué à systématiser. Le schéma 3 est quant à lui commun aux petites villes de l’intérieur très souvent situées sur les plateaux (Mooi River, Paulpietersburg…). Elles ont été intéressées par une forme « primitive » du développement séparé avec un ex-township municipal saturé d’une faible superficie, qui craque aujourd’hui de partout (parce qu’on a arrêté par le passé de l’agrandir), accessible en cinq minutes en voiture.

L’inégal comportement urbain face aux politiques passées forme donc une composante majeure de la structuration héritée des villes du Kwazulu-Natal. Il existe en outre deux dernières classes urbaines des plus singulières. Certaines n’ont jamais connu la création de townships noirs. Parmi elles, il en existe qui sont restées blanches ou quasiment blanches (c’est le cas de Port-Edward). Ce sont des cités balnéaires, axées sur le tourisme, dans lesquelles les besoins ouvriers ne sont jamais posés. D’autres ont fini par connaître un développement économique et une immigration africaine (Ixopo, Port-Shepstone). Cependant, l’absence de township a entraîné le développement de camps informels aux abords de la ville. Pour finir, dans les frontières même du homeland, quelques villes ont fini par se constituer. Si les terres de l’Afrique du Sud blanche ont historiquement porté l’essentiel de l’urbanisation nationale, cela ne signifie nullement que les homelands ne furent constitués que de terres incultes émaillées de villages et de townships placés sur leurs franges. Des traits d’urbanisation, il est vrai mineurs comparés à l’Afrique du Sud contiguë, ont fini par y naître. On a notamment constitué une capitale, sorte de « vitrine » de ces pseudo Etats noirs. La population africaine y est présente à 98-99% ; surtout, il faut retenir qu’il n’y a pas eu sur place de ségrégation officielle d’établie entre les différents quartiers.

2 - Une armature urbaine métropolisée, bien hiérarchisée mais hétérogène

La méthodologie employée pour dresser l’armature urbaine provinciale s’est fortement inspirée des études sur les « systèmes de villes » (selon l’expression du professeur Denise Pumain), ou les centres urbains, qui sont inter-reliés, sont d’abord mesurés en fonction de leur taille avant que cette hiérarchie ne se complète par une étude sur les services. Il ressort que l’armature urbaine du Kwazulu-Natal est une armature très spécifique et ce à différentes échelles. La distribution spatiale de cette hiérarchie urbaine en 2000 est révélatrice de la somme de ces singularités.

Sur la carte suivante, les contours en bleu constituent les surfaces aujourd’hui à mode de régime tribale. Ces terres correspondent grossièrement au tracé de l’ex-homeland Kwazulu. Les traits rouges représentent pour leur part les principales routes de cette province (qui composent autant de « corridors » dynamiques) : la Nationale 2 (N2) littorale, qu’entrecoupe la N3 qui la traverse en son milieu avant de rejoindre ensuite la N11, puis plus loin la province du Gauteng et Johannesburg au nord-ouest.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Durban reste et de loin la première ville du Kwazulu-Natal, c’est sa capitale économique. La majorité des grands dirigeants, des cadres et des membres des professions libérales travaillent sur place. La ville tient le haut du pavé concernant la direction régionale des entreprises. Durban, surtout, représente les deux tiers de la population urbaine du Kwazulu-Natal et elle engendre plus de la moitié du produit intérieur brut provincial. Il faut ajouter à cela 61% des banques, 54% des supermarchés, 66% des lignes de transport de passagers, et on obtient alors une idée précise du haut niveau de concentration de cette province. Par delà cet encadrement économique incontestable, lui échappe tout de même une partie du pouvoir de commandement accaparée par la capitale administrative provinciale, Pietermaritzburg. A 80 km de Durban dans l’intérieur, Pietermaritzburg est une ville plus calme et retirée qui jouit de son passé de première ville du KZN fondée par les Boers. Aux gratte-ciel de Durban, s’opposent donc ses célèbres murs de briques mais les chiffres de population ne laissent aucun doute : face au près de 3 millions d’habitants de Durban, les    400 000 habitants de Pietermaritzburg peinent à faire contrepoids.

L’armature urbaine du Kwazulu-Natal est donc métropolisée ce qui est loin d’être le cas de toutes         les provinces sud-africaines, exception faite de la province du Cap de l’Ouest. Cette armature est de plus bien hiérarchisée et c’est là un autre de ses traits d’originalité. On trouve      en effet sur place de nombreuses villes moyennes et secondaires, un aspect typique de toute l’Afrique   du Sud.

 

 

La décennie 80 a été marquée dans ce pays par un taux moyen de croissance des villes secondaires et villes moyennes le plus rapide de tous les niveaux de villes sud-africains. Beaucoup de ces centres étaient devenus des pôles d’emploi suite à des politiques de désindustrialisation étatiques visant à composer des pôles de croissance pour contrebalancer le poids des métropoles. On a parlé de semi-échec, mais ces centres se sont tout de même accrus grâce aux flux migratoires cumulés à une forte croissance naturelle. Cette armature bien hiérarchisée diffère de celle de bon nombre de régions d’autres pays de peuplement récent, tels que l’Australie ou le Brésil, où les villes moyennes sont souvent court-circuitées.

L’armature urbaine du Kwazulu-Natal affiche une dernière caractéristique à l’observation de sa répartition spatiale. Les terres traditionnelles ou terres tribales, sur lesquelles les chefs zoulous (amakhosi) gardent toujours de fortes prérogatives, témoignent d’une grande faiblesse de villes. Ces terres affichent un immense retard en développement à cause de l’apartheid. Ce sont, avec les bidonvilles, les plus importants challenges des politiques d’aménagement sud-africaines. Lorsqu’on va sur place, on relève toujours une Afrique très paysanne, au niveau d’équipement ténu, presque anachronique dans l’actuelle Afrique du Sud. L’armature urbaine du Kwazulu-Natal est donc « trouée » au niveau de ces terres, qui sont toujours mal intégrées au reste du territoire. Sans conteste, c’est là le lot de toutes les provinces sud-africaines qui ont incorporé des anciens homelands, sauf que le homeland Kwazulu était aussi le plus morcelé des homelands sud-africains.

De cet étude, il ressort en substance que : à grande échelle, il existe une organisation spatiale héritée des villes du Kwazulu-Natal plus complexe que ce à quoi nous avaient habitué les modèles réducteurs de la ville d’apartheid ; à petite échelle, la comparaison inter-ville lève le voile sur ce qui se situe en arrière de la métropole notoire de Durban, et met notamment en exergue les carences d’intégration de certains pans de ce territoire.

 

 

 

 

 

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Durban reste et de loin la première ville du Kwazulu-Natal, c’est sa capitale économique. La majorité des grands dirigeants, des cadres et des membres des professions libérales travaillent sur place. La ville tient le haut du pavé concernant la direction régionale des entreprises. Durban, surtout, représente les deux tiers de la population urbaine du Kwazulu-Natal et elle engendre plus de la moitié du produit intérieur brut provincial. Il faut ajouter à cela 61% des banques, 54% des supermarchés, 66% des lignes de transport de passagers, et on obtient alors une idée précise du haut niveau de concentration de cette province. Par delà cet encadrement économique incontestable, lui échappe tout de même une partie du pouvoir de commandement accaparée par la capitale administrative provinciale, Pietermaritzburg. A 80 km de Durban dans l’intérieur, Pietermaritzburg est une ville plus calme et retirée qui jouit de son passé de première ville du KZN fondée par les Boers. Aux gratte-ciel de Durban, s’opposent donc ses célèbres murs de briques mais les chiffres de population ne laissent aucun doute : face au près de 3 millions d’habitants de Durban, les    400 000 habitants de Pietermaritzburg peinent à faire contrepoids.

L’armature urbaine du Kwazulu-Natal est donc métropolisée ce qui est loin d’être le cas de toutes         les provinces sud-africaines, exception faite de la province du Cap de l’Ouest. Cette armature est de plus bien hiérarchisée et c’est là un autre de ses traits d’originalité. On trouve      en effet sur place de nombreuses villes moyennes et secondaires, un aspect typique de toute l’Afrique   du Sud.

 

 

La décennie 80 a été marquée dans ce pays par un taux moyen de croissance des villes secondaires et villes moyennes le plus rapide de tous les niveaux de villes sud-africains. Beaucoup de ces centres étaient devenus des pôles d’emploi suite à des politiques de désindustrialisation étatiques visant à composer des pôles de croissance pour contrebalancer le poids des métropoles. On a parlé de semi-échec, mais ces centres se sont tout de même accrus grâce aux flux migratoires cumulés à une forte croissance naturelle. Cette armature bien hiérarchisée diffère de celle de bon nombre de régions d’autres pays de peuplement récent, tels que l’Australie ou le Brésil, où les villes moyennes sont souvent court-circuitées.

L’armature urbaine du Kwazulu-Natal affiche une dernière caractéristique à l’observation de sa répartition spatiale. Les terres traditionnelles ou terres tribales, sur lesquelles les chefs zoulous (amakhosi) gardent toujours de fortes prérogatives, témoignent d’une grande faiblesse de villes. Ces terres affichent un immense retard en développement à cause de l’apartheid. Ce sont, avec les bidonvilles, les plus importants challenges des politiques d’aménagement sud-africaines. Lorsqu’on va sur place, on relève toujours une Afrique très paysanne, au niveau d’équipement ténu, presque anachronique dans l’actuelle Afrique du Sud. L’armature urbaine du Kwazulu-Natal est donc « trouée » au niveau de ces terres, qui sont toujours mal intégrées au reste du territoire. Sans conteste, c’est là le lot de toutes les provinces sud-africaines qui ont incorporé des anciens homelands, sauf que le homeland Kwazulu était aussi le plus morcelé des homelands sud-africains.