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du 3 décembre 2003 »
Fabrice Folio
A.T.E.R. Université de la réunion
Tel : 0692 82 77 22
E-mail : folio_f@hotmail.com
Cette communication s’inspire d’une thèse de
géographie humaine menée sous la direction du professeur J.L.Guebourg
sur la province sud-africaine du Kwazulu-Natal (KZN). Les recherches conduites
sont à la charnière de l’analyse régionale et de l’analyse thématique au sens
ou les réflexions ont porté sur les relations intra et interurbaines de ce
territoire.
Le Kwazulu-Natal, d’une superficie de 92 180 km², est peuplé de 9,4 millions d’habitants (selon le
recensement de 1999). C’est l’une des neuf provinces de la nation
« arc-en-ciel », située au nord-est du pays, baignée par l’océan
Indien à l’est et bordant entre autres le Lesotho, le Swaziland et le
Mozambique. Pour l’île de la Réunion, il s’agit d’une contrée sous les feux de
l’actualité, au regard de la convention cadre récemment signée entre cette
province et le conseil régional visant
à une étroite coopération dans
des domaines variées (éducation, recherche, environnement, économie…). Ses
villes représentent en outre un laboratoire spatial, social et culturel de
premier ordre dans l’actuelle Afrique du Sud post-apartheid.
Les écrits ayant pour objet la ville sud-africaine constituent
actuellement une masse d’informations de plus en plus riche. Il existe un petit
vivier de chercheurs qui étudient les recompositions de la ville d’apartheid
tant stigmatisée. Toutefois, la plupart des études portaient jusqu’à présent sur
les métropoles sud-africaines : Johannesburg, le Cap ou Durban... Il était
par conséquent relativement novateur de mener une étude comparative sur un plus
vaste terrain, une recherche portant sur les dynamiques inter-villes
sud-africaines. Le Kwazulu-Natal s’est posé comme le support de ces réflexions.
Parvenir à une adéquate mesure des centres urbains de cette province fut à la
fois complexe et instructeur : les villes n’offrent pas toutes la même
morphologie, elles ne sont pas intéressées également par les mêmes héritages
d’apartheid ; derrière la métropole de Durban, se trouvent de nombreuses
petites et moyennes villes trop peu connues, d’inégale importance, présentant
leurs propres particularités. Ces pistes de travail impliquaient dans ce contexte
une comparaison à deux échelles : échelle locale soit intra-urbaine,
et échelle régionale, celle du KZN, qui correspond donc au domaine interurbain.
On aboutit de facto à deux axes de réflexion :
-
D’abord mettre l’accent sur la nécessité,
de nos jours, de remettre en cause le schéma d’organisation spatiale connu de
la ville sud-africaine à travers l’exemple du Kwazulu-Natal. Ce schéma présente
une sorte de « ville clone » à grande échelle, une entité qui aurait
été touchée uniformément par la politique d’apartheid instituée au plan
national.
-
Ensuite démontrer toute
l’originalité, cette fois à petite échelle, de l’armature ou de la hiérarchie
urbaine du KZN, si on la compare notamment aux autres provinces sud-africaines
mais aussi à d’autres régions de pays neufs à l’échelle du globe.
I] A grande échelle : des
paysages contrastés pour 5 classes de ville
![]() |
Le schéma de structure spatiale de la ville provinciale s’organise
selon un modèle sectoriel. En dépit des évolutions post-apartheid, il s’inspire
encore beaucoup de celui très célèbre de la « ville d’apartheid »
dressé par Ron Davies en
1981, au plus fort de la politique ségrégative. Il s’agit d’un schéma de
synthèse des formes paysagères relevées au terme de nos rencontres avec les 43
villes les plus significatives de cette province (municipalité de plus de 2 000 habitants définies en 1996). Sur la
figure, émergent les quartiers « originellement » blancs, en
situation le plus proche du centre-ville, qui ne cachent pas certains
contrastes. En deuxième couronne, ressortent les quartiers dits indiens et
métis, et enfin en troisième couronne les quartiers noirs, plus connus sous le
nom de « townships ». Ce zonage spatial (zonage autant fonctionnel
que racial) est issu de la politique du Group Areas Act
de 1950 qui avait institué le développement séparé à l’échelle urbaine.
Dans la décennie 70, l’Afrique du Sud s’est lancée cette fois dans le
tristement ambitieux projet du « grand apartheid ». Cette nouvelle
politique visait à créer, à l’échelle nationale, des pays ou Etats pour les
Noirs, ce qu’on a appelé les « bantoustans » ou homelands. Ces
homelands n’ont été que des parcelles pauvres, sous-équipées et éclatées,
abritant sur une faible superficie ce qui était alors l’essentiel de la
population sud-africaine. Celui du Natal fut le Kwazulu patrie
des Zoulous. Ils n’ont évidemment pas été reconnus par la communauté
internationale et ont depuis été incorporés dans les nouvelles provinces
sud-africaines. On a tout de même décidé à ce moment de construire les
townships dans leurs frontières, d’où ces deux catégories de townships dans
l’actuelle ville post-apartheid : l’un, à plus faible distance, sur
l’ancienne Afrique du Sud blanche, l’autre plus éloigné, dans les anciens
bantoustans. Ce faisant, on est très loin d’une ville d’apartheid monolithique.
A
l’examen dans le détail les villes provinciales, ce ne sont pas moins de cinq
schémas de ville qui se dégagent. Sur le schéma exposé précédemment, se
calquent en réalité quatre autres schémas qui présentent chacun leurs nuances.
Le schéma 1, en tant que tel, correspond en fait aux villes de Durban ou de
Pietermaritzburg, les plus grandes villes du Kwazulu-Natal. Elles ont été
intéressées successivement par l’ensemble des politiques ségrégatives, qui ont,
en quelque sorte, fait feu de toutes « lois ». Le schéma 2 est celui
de la ville du grand apartheid, celle qui a vu l’unique création d’un township
noir dans le lointain homeland ; cela conduit presque sur place à
distinguer deux villes, l’une africaine, très peuplée et plus pauvre, l’autre
blanche et indienne, mieux équipée et développée. C’est le modèle Richards Bay ou Newcastle, la forme aussi la plus
« accomplie » du développement séparé urbain qu’on s’est évertué à
systématiser. Le schéma 3 est quant à lui commun aux petites villes de
l’intérieur très souvent situées sur les plateaux (Mooi
River, Paulpietersburg…). Elles ont été intéressées
par une forme « primitive » du développement séparé avec un
ex-township municipal saturé d’une faible superficie, qui craque aujourd’hui de
partout (parce qu’on a arrêté par le passé de l’agrandir), accessible en cinq
minutes en voiture.
L’inégal comportement urbain face aux politiques passées forme donc une
composante majeure de la structuration héritée des villes du Kwazulu-Natal. Il
existe en outre deux dernières classes urbaines des plus singulières. Certaines
n’ont jamais connu la création de townships noirs. Parmi elles, il en existe
qui sont restées blanches ou quasiment blanches (c’est le cas de Port-Edward). Ce sont des cités balnéaires, axées sur le
tourisme, dans lesquelles les besoins ouvriers ne sont jamais posés. D’autres
ont fini par connaître un développement économique et une immigration africaine
(Ixopo, Port-Shepstone).
Cependant, l’absence de township a entraîné le développement de camps informels
aux abords de la ville. Pour finir, dans les frontières même du homeland,
quelques villes ont fini par se constituer. Si les terres de l’Afrique du Sud
blanche ont historiquement porté l’essentiel de l’urbanisation nationale, cela
ne signifie nullement que les homelands ne furent constitués que de terres
incultes émaillées de villages et de townships placés sur leurs franges. Des
traits d’urbanisation, il est vrai mineurs comparés à
l’Afrique du Sud contiguë, ont fini par y naître. On a notamment constitué une
capitale, sorte de « vitrine » de ces pseudo Etats noirs. La population africaine y est présente à 98-99% ;
surtout, il faut retenir qu’il n’y a pas eu sur place de ségrégation
officielle d’établie entre les différents quartiers.
2 - Une armature urbaine métropolisée,
bien hiérarchisée mais hétérogène
La méthodologie employée pour dresser l’armature urbaine provinciale
s’est fortement inspirée des études sur les « systèmes de villes »
(selon l’expression du professeur Denise Pumain), ou
les centres urbains, qui sont inter-reliés, sont
d’abord mesurés en fonction de leur taille avant que cette hiérarchie ne se
complète par une étude sur les services. Il ressort que l’armature urbaine du
Kwazulu-Natal est une armature très spécifique et ce à différentes échelles. La
distribution spatiale de cette hiérarchie urbaine en 2000 est révélatrice de la
somme de ces singularités.
Sur la carte suivante, les contours en bleu constituent les surfaces
aujourd’hui à mode de régime tribale. Ces terres correspondent grossièrement au
tracé de l’ex-homeland Kwazulu. Les traits rouges représentent pour leur
part les principales routes de cette province (qui composent autant de
« corridors » dynamiques) : la Nationale 2 (N2) littorale,
qu’entrecoupe la N3 qui la traverse en son milieu avant de rejoindre ensuite la
N11, puis plus loin la province du Gauteng et Johannesburg au nord-ouest.
Durban reste et de loin la première ville du Kwazulu-Natal, c’est sa
capitale économique. La majorité des grands dirigeants, des cadres et des
membres des professions libérales travaillent sur place. La ville tient le haut
du pavé concernant la direction régionale des entreprises. Durban, surtout,
représente les deux tiers de la population urbaine du Kwazulu-Natal et elle
engendre plus de la moitié du produit intérieur brut provincial. Il faut
ajouter à cela 61% des banques, 54% des supermarchés, 66% des lignes de transport de passagers, et on obtient alors
une idée précise du haut niveau de concentration de cette province. Par
delà cet encadrement économique incontestable, lui échappe tout de même une
partie du pouvoir de commandement accaparée par la
capitale administrative provinciale, Pietermaritzburg. A 80 km
de Durban dans l’intérieur, Pietermaritzburg est une ville plus calme et
retirée qui jouit de son passé de première ville du KZN fondée par les Boers.
Aux gratte-ciel de Durban, s’opposent donc ses célèbres murs de briques mais
les chiffres de population ne laissent aucun doute : face au près de 3
millions d’habitants de Durban, les
400 000 habitants de Pietermaritzburg peinent à faire contrepoids.
L’armature
urbaine du Kwazulu-Natal est donc métropolisée ce qui
est loin d’être le cas de toutes
les provinces sud-africaines, exception faite de la province du Cap de
l’Ouest. Cette armature est de plus bien hiérarchisée et c’est là un autre de
ses traits d’originalité. On trouve
en effet sur place de nombreuses villes moyennes et secondaires, un
aspect typique de toute l’Afrique du
Sud.
La décennie 80 a été marquée dans ce pays par un
taux moyen de croissance des villes secondaires et villes moyennes le plus
rapide de tous les niveaux de villes sud-africains. Beaucoup de ces centres étaient devenus des pôles d’emploi
suite à des politiques de désindustrialisation étatiques visant à composer des
pôles de croissance pour contrebalancer le poids des métropoles. On a parlé de semi-échec, mais ces centres se sont tout de même accrus
grâce aux flux migratoires cumulés à une forte croissance naturelle. Cette armature bien hiérarchisée diffère de celle
de bon nombre de régions d’autres pays de peuplement récent, tels que
l’Australie ou le Brésil, où les villes moyennes sont souvent court-circuitées.
L’armature
urbaine du Kwazulu-Natal affiche une dernière caractéristique à l’observation
de sa répartition spatiale. Les terres traditionnelles ou terres tribales, sur
lesquelles les chefs zoulous (amakhosi)
gardent toujours de fortes prérogatives, témoignent d’une grande faiblesse de
villes. Ces terres affichent un immense retard en développement à cause de
l’apartheid. Ce sont, avec les bidonvilles, les plus importants challenges des
politiques d’aménagement sud-africaines. Lorsqu’on va sur place, on relève
toujours une Afrique très paysanne, au niveau d’équipement ténu, presque
anachronique dans l’actuelle Afrique du Sud. L’armature urbaine du
Kwazulu-Natal est donc « trouée » au niveau de ces terres, qui sont
toujours mal intégrées au reste du territoire. Sans conteste, c’est là le lot
de toutes les provinces sud-africaines qui ont incorporé des anciens homelands,
sauf que le homeland Kwazulu était aussi le plus morcelé des homelands
sud-africains.
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Durban reste et de loin la première ville du Kwazulu-Natal, c’est sa
capitale économique. La majorité des grands dirigeants, des cadres et des
membres des professions libérales travaillent sur place. La ville tient le haut
du pavé concernant la direction régionale des entreprises. Durban, surtout,
représente les deux tiers de la population urbaine du Kwazulu-Natal et elle
engendre plus de la moitié du produit intérieur brut provincial. Il faut
ajouter à cela 61% des banques, 54% des supermarchés, 66% des lignes de transport de passagers, et on obtient alors
une idée précise du haut niveau de concentration de cette province. Par
delà cet encadrement économique incontestable, lui échappe tout de même une
partie du pouvoir de commandement accaparée par la
capitale administrative provinciale, Pietermaritzburg. A 80 km
de Durban dans l’intérieur, Pietermaritzburg est une ville plus calme et
retirée qui jouit de son passé de première ville du KZN fondée par les Boers.
Aux gratte-ciel de Durban, s’opposent donc ses célèbres murs de briques mais
les chiffres de population ne laissent aucun doute : face au près de 3
millions d’habitants de Durban, les
400 000 habitants de Pietermaritzburg peinent à faire contrepoids.
L’armature urbaine du Kwazulu-Natal est donc métropolisée ce qui est loin d’être le cas de toutes les provinces sud-africaines, exception faite de la province du Cap de l’Ouest. Cette armature est de plus bien hiérarchisée et c’est là un autre de ses traits d’originalité. On trouve en effet sur place de nombreuses villes moyennes et secondaires, un aspect typique de toute l’Afrique du Sud.
La décennie 80 a été marquée dans ce pays par un taux moyen de croissance des villes secondaires et villes moyennes le plus rapide de tous les niveaux de villes sud-africains. Beaucoup de ces centres étaient devenus des pôles d’emploi suite à des politiques de désindustrialisation étatiques visant à composer des pôles de croissance pour contrebalancer le poids des métropoles. On a parlé de semi-échec, mais ces centres se sont tout de même accrus grâce aux flux migratoires cumulés à une forte croissance naturelle. Cette armature bien hiérarchisée diffère de celle de bon nombre de régions d’autres pays de peuplement récent, tels que l’Australie ou le Brésil, où les villes moyennes sont souvent court-circuitées.
L’armature urbaine du Kwazulu-Natal affiche une dernière caractéristique à l’observation de sa répartition spatiale. Les terres traditionnelles ou terres tribales, sur lesquelles les chefs zoulous (amakhosi) gardent toujours de fortes prérogatives, témoignent d’une grande faiblesse de villes. Ces terres affichent un immense retard en développement à cause de l’apartheid. Ce sont, avec les bidonvilles, les plus importants challenges des politiques d’aménagement sud-africaines. Lorsqu’on va sur place, on relève toujours une Afrique très paysanne, au niveau d’équipement ténu, presque anachronique dans l’actuelle Afrique du Sud. L’armature urbaine du Kwazulu-Natal est donc « trouée » au niveau de ces terres, qui sont toujours mal intégrées au reste du territoire. Sans conteste, c’est là le lot de toutes les provinces sud-africaines qui ont incorporé des anciens homelands, sauf que le homeland Kwazulu était aussi le plus morcelé des homelands sud-africains.